10 juin 2024
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Cass. Com., 28 février 2024, n° 22-10314
A la suite d’une enquête réalisée entre 2013 et 2016 dans le secteur de la franchise de restauration rapide, la DGCCRF a engagé une action judiciaire à l’encontre des sociétés du réseau Pizza Sprint et de Domino’s Pizza France (qui a acquis la tête de réseau en 2016), estimant que les contrats de franchise contenaient des clauses significativement déséquilibrées.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 février 2024, qui a confirmé en tous points l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 5 janvier 2022, était très attendu tant les enjeux sont importants pour les réseaux de franchise.
La Cour de cassation a été saisie de plusieurs questions relatives à la recevabilité de l’action du Ministre, à la méthode d’appréciation des juges du fond sur la soumission à un déséquilibre significatif et enfin à l’imputabilité des pratiques.
S’agissant d’abord de la recevabilité de l’action du Ministre, la Cour de cassation a rappelé que cette action ne faisait pas « l’objet de règles spéciales » et en a conclu que la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil était applicable. Le point de départ de la prescription court à compter de la découverte de la clause ou pratique significativement déséquilibrée, fixée aux premiers actes d’enquête.
Cette solution est critiquable car cela signifie que tant que le Ministre n’enquête pas, la prescription quinquennale ne commence pas à courir. Son action est certes en principe enfermée dans le délai butoir de l’article 2232 du Code civil qui est de 20 ans à compter du fait générateur, mais ce délai est particulièrement long, équivalent à celui appliqué aux crimes, en droit pénal…
La Cour de cassation a également précisé que « la conclusion d’une transaction entre des partenaires économiques n’a pas pour effet de priver le Ministre des pouvoirs qu’il tient de l’article L.442-6, III devenu l’article L.442-4 du Code de commerce. » Cette solution est cohérente, compte tenu du caractère autonome de l’action du Ministre.
La Cour de cassation s’est ensuite prononcée sur l’appréciation faite par la Cour d’appel de Paris quant à la soumission à un déséquilibre significatif.
Sur la condition de la soumission, la Cour de cassation a suivi le raisonnement retenu par la Cour d’appel de Paris en considérant que la notoriété et la simplicité du concept de Pizza Sprint, la position prépondérante du franchiseur sur ses franchisés, et l’imposition de contrats types non-négociés permettaient de caractériser la soumission des franchisés.
Compte tenu de cette décision, le critère de la soumission risque d’être très souvent caractérisé dans les réseaux de franchise ce qui est très discutable et à vrai dire peu en phase avec la jurisprudence développée par la Cour d’appel de Paris qui a admis comme critère de caractérisation de la soumission, l’existence, ou non, de solutions alternatives pour le cocontractant, à la date où le contrat a été conclu (voir par exemple, CA Paris, 7 juin 2023, n° 22/19733 ; CA Paris, 23 février 2022, n°20/07566 ; Cass. Com., 26 avril 2017 n° 15-27865).
Sur l’appréciation du déséquilibre significatif, la Cour de cassation est venue, cette fois-ci, apporter une précision d’importance concernant la clause de cession, qui va dans le sens des franchiseurs.
Pour mémoire, les contrats Pizza Sprint contenaient une clause d’intuitu personae non réciproque (i) aux termes de laquelle le franchisé devait informer le franchiseur de tout projet « ayant une incidence » sur la répartition du capital social du franchisé ou de celui de son principal actionnaire et sur l’identité de ses dirigeants effectifs, et (ii) qui autorisait le franchiseur à résilier le contrat de manière anticipée s’il n’autorisait pas l’évolution proposée par le franchisé. Inversement, la cession du contrat ou l’évolution du capital social du franchiseur étaient libres, le franchisé n’ayant aucun droit de regard.
Cette clause avait été annulée par la Cour d’appel de Paris comme étant significativement déséquilibrée.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel mais en prenant le soin de préciser que celle-ci ne s’était pas « bornée à déduire l’existence d’un déséquilibre significatif du seul fait que la clause litigieuse ne prévoyait pas de réciprocité ».
En d’autres termes, la clause a pu être annulée par la Cour d’appel non pas parce qu’elle n’était pas réciproque, mais parce qu’elle était rédigée en des termes obscurs, ne permettant pas au franchisé de savoir précisément quand le franchiseur était susceptible de résilier le contrat.
Les clauses de cession non réciproques (qui accordent un droit de regard au seul franchiseur en cas de cession par le franchisé, et pas au franchisé en cas de cession par le franchiseur) sont donc valides dès lors qu’elles permettent « d'appréhender la nature et le degré de l'effet du projet sur l'actionnariat ou la personne du franchisé susceptible de motiver, de la part du franchiseur, la résiliation anticipée du contrat ».
La position de la Cour de cassation est rassurante car elle permet de conserver les clauses de cession habituelles dans les contrats de franchise, sous réserve de veiller à les rédiger de manière claire et raisonnable.
Enfin, s’agissant de l’imputabilité des pratiques, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel de Paris qui avait condamné la société Domino’s Pizza France in solidum avec Pizza Sprint au paiement de l’amende civile au motif qu’elle « n’a pas cessé les pratiques litigieuses » lorsqu’elle a pris le contrôle de Pizza Sprint.
Il s’agit là d’une solution surprenante et sévère car cela revient à considérer que Domino’s Pizza France est responsable non seulement pour la période postérieure à l’acquisition mais également pour la période antérieure.
CA Paris, 11 janvier 2024, n°21/01783 et CA Paris, 17 janvier 2024, n°21/11563
Dans deux arrêts rendus en janvier 2024, la Cour d’appel de Paris en matière de déséquilibre significatif, la Cour d’appel de Paris a précisé sa position sur (i) la notion de la soumission, (ii) l’appréciation du déséquilibre entre les droits et les obligations des parties et (iii) le caractère significatif du déséquilibre.
Il est utile de rappeler que l’article L.442-1, I, 2 du Code de commerce (ancien article L.442-6, I, 2), prévoit que le fait de soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties engage la responsabilité de son auteur.
La première condition d’application du texte est la caractérisation de la soumission du cocontractant. C’est sur ce point que l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 janvier 2024 est particulièrement intéressant.
Dans cette affaire, des contrats de concession pour la distribution de véhicules ont été conclus entre le groupe Ford (la société SAS Ford France, en charge de la distribution des véhicules de la marque en France) et des sociétés (filiales) du groupe HG en leur qualité de distributeurs. Dans ces contrats, un article prévoyait la possibilité pour le fournisseur de résilier le contrat de manière unilatérale et immédiate en cas de la survenance « d’évènements exceptionnels » tels que le défaut majeur du concessionnaire de payer les véhicules de la société. Le groupe Ford a effectivement mis en œuvre cette clause lorsque les concessionnaires ont manqué à leur obligation de paiement. Ceux-ci ont réagi en saisissant le Tribunal de commerce mais ont été déboutés de leurs demandes et ont interjeté appel et demandé à la Cour de reconnaitre que cet article, notamment, était affecté d’un déséquilibre significatif.
La Cour rappelle tout d’abord que « la caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d’une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d’autre part l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Sur la soumission, la Cour d’appel rappelle qu’il faut une démonstration « de l’absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses incriminées ».
Elle concède que la rédaction du contrat de concession l’apparente à un contrat d’adhésion mais que la négociation a toutefois été possible pour les concessionnaires puisque des négociations collectives ont été menées au niveau européen et au niveau national par des représentants des distributeurs. La Cour précise que « de telles négociations ne sont pas strictement menées par [les sociétés concessionnaires] ou spécifiquement pour leur compte. Néanmoins, adaptées aux nécessités de l’organisation d’un réseau transnational qui doit comporter, sur chaque territoire national, des relations contractuelles présentant une certaine uniformité et tenues selon des modalités compensant le déséquilibre des forces économiques entre les parties regroupées, elles contredisent l’hypothèse de la soumission alléguée ».
Par ailleurs, les deux arrêts rendus en janvier 2024 sont l’occasion pour la Cour d’appel de rappeler ce qu’elle considère être un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Dans son arrêt du 11 janvier 2024, la Cour d’appel adopte une position originale. Dans cette affaire, la société CSBS (une société spécialisée dans la vente de produits de santé) avait conclu un contrat de prestation avec la société Chronopost pour la livraison de ses produits. Les relations entre les deux sociétés se sont dégradées et la société Chronopost a finalement pris acte de la rupture unilatérale et sans préavis de ses relations contractuelles avec CSBS. Chronopost a alors saisi les juridictions, puis, en appel, la société CSBS a notamment demandé à la Cour de juger inapplicable et réputée non écrite une clause des CGV de la société Chronopost.
La Cour mène son analyse notamment sur le fondement du déséquilibre significatif et souligne d’abord que le fait de reprendre des dispositions du Code de commerce ne peut engendrer un déséquilibre significatif. La Cour va plus loin en énonçant, de manière générale, que « le fait d’imposer à un cocontractant professionnel le respect de certaines formalités ou délais pour dénoncer une inexécution contractuelle ne saurait traduire à lui seul l’existence d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
La Cour d’appel souligne par ailleurs, dans son arrêt du 17 janvier 2024, que ne crée pas de déséquilibre entre les droits et les obligations des parties le fait de prévoir une résiliation unilatérale du contrat au bénéfice du seul fournisseur.
Cette position peut surprendre car il est de jurisprudence constante que l’absence de réciprocité est un signe de déséquilibre entre les droits et les obligations des parties. Dans cet arrêt, la Cour d’appel de Paris justifie toutefois sa position en soutenant que :
(i) le déséquilibre significatif doit également être apprécié « à l’aune des facultés offertes par le droit commun des obligations qui a vocation à régir leurs rapports » et que le distributeur pouvait ainsi également en bénéficier puisque la faculté de résiliation unilatérale « était de droit positif au jour de la conclusion des contrats litigieux ». Cette analyse doit être approuvée ;
(ii) cette possibilité de résilier ouverte au seul fournisseur est justifiée par le risque qu’il encourt et par le caractère intuitu personae du contrat. La Cour d’appel semble ainsi apprécier cette notion de risque pour le fournisseur en soulignant une « asymétrie des risques auxquels la relation commerciale expose les partenaires ». Elle remarque notamment que « l’atteinte directe ou indirecte à l’intuitu personae est potentiellement plus grave du point de vue de la SAS Ford France : si celle-ci est bien connue de ses partenaires qui la choisissent à raison de sa notoriété et de la qualité de ses produits, la capacité financière et les aptitudes juridiques et économiques des concessionnaires à intégrer un réseau déjà constitué et à s’y maintenir sont soumis à un examen plus minutieux. » Cette position est également bienvenue pour les têtes de réseaux.
ADLC, 23-D-12 du 11 décembre 2023 ; 23-D-13 du 19 décembre 2023 ; 24-D-02 du 6 février 2024
Par trois décisions rendues à la fin de l’année 2023 et au début de l’année 2024, concernant un réseau de distribution libre (Mariage Frères), un réseau de distribution sélective (Rolex) et un réseau de franchise (De Neuville), l’Autorité de la concurrence (ci-après l’ « ADLC ») a coup sur coup prononcé une série de sanctions au motif qu’ils avaient empêché la revente en ligne à leurs distributeurs (dans les trois décisions) et restreint les ventes à des professionnels (dans les décisions Mariage Frères et De Neuville).
Concernant les restrictions à la revente par internet, l’ADLC a reproché à Mariage Frères et De Neuville d’avoir restreint, et à Rolex d’avoir purement et simplement interdit les ventes en ligne à leurs distributeurs. Chacune de ces entreprises a avancé l’argument selon lequel ces pratiques étaient justifiées par la nécessité de préserver l’image de marque et, pour Rolex, de lutter contre la contrefaçon.
Dans la droite ligne de la décision Pierre Fabre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 13 octobre 2014, C-439/09, Pierre Fabre Dermo-cosmétiques), l’ADLC a cependant rappelé, dans les trois affaires, que les restrictions imposées aux distributeurs quant à la vente en ligne ne devaient pas avoir indirectement pour objet d’empêcher l’utilisation effective d’internet par l’acheteur et que la nécessité d’obtenir un accord écrit du fournisseur était une restriction de concurrence par objet.
Elle a par ailleurs estimé que l’objectif de préservation de l’image de marque ne justifiait pas ces interdictions absolues, y compris s’agissant de produits de luxe. Dans l’affaire Rolex, l’ADLC a notamment souligné que les principaux concurrents de la marque n’imposaient pas de telles restrictions, ce qui démontrait qu’une politique moins restrictive était possible.
L’ADLC a relevé que ces pratiques avaient eu pour effet de cloisonner les marchés et de restreindre la concurrence intra-marque, au détriment du consommateur.
L’ADLC a ainsi rappelé que, quel que soit le système de distribution retenu (libre, sélectif ou en franchise), il n’est pas permis à la tête de réseau d’empêcher ses distributeurs de revendre en ligne.
L’ADLC a par ailleurs sanctionné Mariage Frères pour avoir interdit à ses distributeurs de vendre les produits à des revendeurs professionnels, et De Neuville d’avoir limité la prospection et les ventes à la clientèle professionnelle.
Mariage Frères se réservait la vente en gros et limitait le périmètre commercial de ses distributeurs à la revente aux consommateurs. Or, Mariage Frères n’avait pas mis en place un système de distribution exclusive et l’interdiction portait à la fois sur les ventes actives et sur les ventes passives. Pour mémoire, dans les réseaux de distribution dits libres, il est possible d’interdire aux distributeurs les ventes actives à la clientèle réservée en exclusivité à d’autres distributeurs ou au fournisseur lui-même, mais il n’est jamais permis d’interdire les ventes passives, même lorsqu’une clientèle est réservée.
Dans l’affaire De Neuville, le franchiseur permettait les ventes aux professionnels mais incitait les franchisés à développer d’abord leur zone de chalandise avant de prospecter d’autres zones territoriales. En outre, De Neuville avait mis en place un code de bonne conduite pour préserver l’harmonie au sein du réseau, qui aboutissait, selon l’ADLC, à une répartition de clientèle.
L’ADLC a estimé que ces pratiques constituaient une restriction de concurrence par objet ne pouvant bénéficier d’une exemption.
Ces trois décisions de l’ADLC sont un rappel de la position stricte (et peut-être trop stricte compte tenu de l’impact réel sur le marché) des autorités de concurrence européennes et notamment de l’ADLC, en matière de revente par internet et de cloisonnement des marchés.
En matière de revente par Internet, comme de revente aux professionnels, les franchiseurs ne sont toutefois pas totalement désarmés, le droit de la concurrence reconnaissant leur droit à protéger l’image de la marque, l’homogénéité du réseau et la cohérence du concept.
Cass. com., 13 mars 2024, n°22-13.764
Dans cette affaire, un couple avait créé une société commune avec une filiale du groupe Carrefour afin de créer et d’exploiter un fonds de commerce de supermarché en franchise, sous enseigne Carrefour.
Le couple détenait 74% des parts sociales de la société commune et la filiale du groupe Carrefour, les 26% restants. Les époux étaient co-gérants de la société.
La société commune avait par ailleurs conclu un contrat de franchise et un contrat d’approvisionnement avec d’autres sociétés du groupe Carrefour.
Mécontents de leur partenariat avec Carrefour, les cogérants ont dénoncé les contrats et soumis au vote de l’assemblée générale un changement de l’objet social, afin de permettre à la société d’exploiter le fonds de commerce sous une autre enseigne que Carrefour.
La filiale du groupe Carrefour, associée minoritaire, a voté contre, bloquant la résolution qui ne pouvait être adoptée qu’à la majorité des trois quarts, conformément aux statuts de la société.
Les cogérants et la société ont alors assigné l’associé minoritaire au motif que celui-ci avait commis un abus de minorité, et pour voir désigner un mandataire ad hoc avec pour mission de voter au nom de cette société sur ladite résolution.
En 2022, la Cour d’appel de Caen a fait droit à cette demande (CA Caen, 20 janv. 2022, n° 21/01013), jugeant que le refus de l’associé minoritaire de voter en faveur de la proposition de résolution constituait un abus de minorité car il était contraire à l’intérêt social et ne répondait qu’à la défense de ses intérêts personnels.
Carrefour s’est alors pourvu en cassation.
Dans cet arrêt, la Haute juridiction rappelle d’abord que « l'existence d'un abus de minorité suppose que la preuve soit rapportée, d'un côté, que l'attitude du minoritaire est contraire à l'intérêt général de la société en ce que celui-ci interdit la réalisation d'une opération essentielle pour elle et, de l'autre, qu'elle procède de l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés. »
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante en matière d’abus de majorité (Cass. com., 18 avril 1961), d’égalité (Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-11.860) ou encore de minorité (Cass. com., 9 mars 1993, n° 91-14.685).
En 2013, la Cour de cassation avait déjà reconnu un lien entre objet social et intérêt social, caractérisant un abus de minorité, notamment lorsque l’associé bloque la décision de modification de l’objet social nécessaire à la poursuite de l’activité commerciale et la survie de la société (Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-16.910).
L’arrêt rappelle ainsi qu’un franchiseur, détenteur d’une minorité de blocage dans le capital de l’un de ses franchisés, ne peut bloquer un changement d’enseigne lorsque l’intérêt supérieur de la société franchisée est en jeu (en d’autres termes, si sa survie même est menacée) et que ce vote traduit la volonté de favoriser ses seuls intérêts au détriment de ceux des associés majoritaires.
Toutefois, en l’espèce, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel car les gérants ne pouvaient résilier les contrats sans avoir préalablement modifié l’objet social, ce qui ne relevait pas de leur compétence.
CA Paris, 21 février 2024, n° 21/09001
La société de droit belge Eurelec Trading est une centrale d’achat fondée par le groupement E. Leclerc et le groupe allemand Rewe. L’objectif est de disposer d’une centrale de négociation des prix commune pour l’ensemble du territoire de l’Union européenne afin de de négocier les conditions commerciales des fournisseurs d’envergure internationale.
Entre 2016 et 2018, le Ministre de l’Economie a mené une enquête qui l’a conduit à considérer qu’Eurelec s’adonnait à des pratiques restrictives de concurrence à l’égard de fournisseurs établis en France.
Le Ministre a donc assigné Eurelec, ainsi que Scabel (qui est aussi une société de droit belge en charge de la stratégie du groupement E. Leclerc) et le Galec (la centrale d’achat française du groupement E. Leclerc) en 2019 devant le tribunal de commerce de Paris.
Eurelec et Scabel ont soulevé l’incompétence du tribunal pour connaître du litige les opposant au Ministre, faisant valoir d'une part que l'action ne relève pas de la matière civile et commerciale au sens du Règlement (UE) n° 1215/2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit Bruxelles I Bis), et d'autre part que les juridictions belges étaient seules compétentes pour connaître du litige au titre de l'article 4.1 du règlement si ce règlement devait être applicable et que le Ministre ne pouvait fonder ses demandes sur les articles 7.2 et 8.1 du règlement.
Par jugement du 15 avril 2021, le tribunal de commerce de Paris s’est déclaré compétent.
Scabel et Eurelec ont interjeté appel de ce jugement et la Cour d’appel de Paris a soulevé, auprès de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE), une question préjudicielle sur cette question de compétence, à laquelle la CJUE a répondu le 22 décembre 2022. La CJUE a estimé que les pouvoirs d’enquête du Ministre et la possibilité qui lui est offerte de demander le prononcé d’une amende sont des pouvoirs exorbitants par rapport à ce qu’une personne privée pourrait demander et que dans ce cas, le règlement européen Bruxelles I bis n’a pas vocation à s’appliquer car l’action du Ministre ne relève pas de la matière civile et commerciale.
Cette affaire est ensuite revenue devant la Cour d’appel de Paris.
Dans son arrêt du 21 février 2024, la Cour d’appel de Paris a déclaré le tribunal de commerce de Paris territorialement compétent pour connaître l’action du Ministre pour déséquilibre significatif contre Scabel et Eurelec.
La Cour considère assez logiquement que lorsqu’il n’y a pas de convention internationale, ni de règlement européen relatif à la compétence judiciaire (le règlement Bruxelles I bis précité), la compétence internationale est déterminée par extension des règles de compétence territoriale internes. En raison de la nature civile en droit interne de l’action du Ministre fondée sur l’ancien article L.442-6, III du Code de commerce, et par application de l’article 42 du Code de procédure civile, peuvent être assignés plusieurs défendeurs à l’action dont seuls certains sont domiciliés en France, devant les juridictions françaises.
Le groupement E. Leclerc n’a toutefois pas décidé de céder face à l’administration française puisqu’à la suite de la demande de communication des conventions annuelles 2024 par la DGCCRF, le 8 février 2024, Eurelec a saisi les tribunaux belges et obtenu de la Cour d’appel de Bruxelles, le 19 février 2024, une décision selon laquelle les autorités françaises ne sont pas fondées à réclamer des documents à Eurelec qui sont soumis exclusivement au droit belge et sont couverts par le secret des affaires…
La portée de cette dernière décision est assez incertaine mais est une nouvelle étape dans le bras de fer très ancien entre le groupement E. Leclerc et le Ministre de l’économie.
Cass. com., 17 janvier 2024, n° 22-20.163
Dans cette affaire, deux pharmaciens avaient adhéré à un réseau d’officines de pharmaciens par une « convention d’assistance », au titre de laquelle la société tête de réseau, LAF (anciennement Lafayette Conseil) s’était engagée à leur fournir des services notamment de gestion, d’actions commerciales et d’achats (négociations des commandes et des prix auprès des laboratoires). En cas de non-renouvellement ou de rupture du contrat, ils avaient interdiction de se réaffilier, pendant un an, sur l’ensemble du territoire métropolitain et d’outre-mer, à un autre réseau ou groupement offrant des prestations similaires, sous peine d’une pénalité de 150.000 euros.
Invoquant des manquements contractuels de la part de LAF, les deux pharmaciens lui ont notifié la résiliation du contrat.
LAF a jugé la résiliation fautive et engagé une action judiciaire afin d’obtenir l’indemnité prévue en cas de violation la clause de non-réaffiliation post-contractuelle. Les pharmaciens ont soulevé en défense l’inopposabilité de la clause.
LAF a été déboutée de l’ensemble de ses demandes par la Cour d’appel de Paris par arrêt du 13 avril 2022 et a formé un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation casse la décision dans son arrêt du 17 janvier 2024 concernant la question du caractère fautif de la résiliation, mais la confirme sur la question de la clause de non-réaffiliation qui nous intéresse ici.
La Cour de cassation confirme d’abord que la clause de non-réaffiliation est illicite en ce qu’elle constitue une entrave disproportionnée à la liberté d’exercice de l’activité commerciale des pharmaciens, non justifiée par les intérêts légitimes de LAF. En effet, la clause vise l’entier territoire de la France métropolitaine et des DOM-TOM alors que l’exclusivité de savoir-faire concédée aux pharmaciens était limitée à l’Ille-et-Vilaine, le caractère indispensable de l’interdiction au titre de la protection des intérêts de la société n’était pas démontré.
Cette décision rappelle que, même lorsque des dispositions spécifiques ne sont pas applicables au cas d’espèce (telles que l’article L.341-2 du Code de commerce (loi Macron) ou encore l’article 5 du règlement UE 2022/720 qui prévoient des règles strictes de validité), la clause de non-réaffiliation, comme la clause de non-concurrence, doit a minima être limitée dans le temps, dans l’espace, et être proportionnée aux intérêts légitimes du créancier.
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