Auteur

Claudia Jonath

Associé

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25 mai 2023

Vers une sécurisation juridique des clauses dites de « golden hello » ?

  • Briefing

Il est d’usage dans différents secteurs d’activité, pour attirer certains talents, de leur offrir de fortes sommes d’argent à titre de prime d’arrivée au moment – ou peu de temps après- leur embauche.


Tel est notamment le cas des traders et brokers embauchés par des sociétés financières.

Se posait alors la question de savoir si une telle prime pouvait être considérée comme définitivement acquise au salarie dès son versement ou si elle pouvait être liée à une condition d’ancienneté à acquérir au sein de la société employeur, dans la mesure où l’objectif poursuivi est non seulement de bien « accueillir » le salarié, mais également de le fidéliser par le biais de la prime.

Eu égard aux sommes en jeu- de telles primes peuvent, dans certains cas, représenter des centaines de milliers d’euros- la question est tout sauf anodine.

S’opposaient alors l’intérêt de l’entreprise employeur de s’assurer non seulement de l’arrivée de son salarié, mais également de sa fidélité et le principe constitutionnel de la liberté de travailler - et de démissionner - du salarié, convoité par ailleurs par la concurrence.

Autrement dit, le « golden hello » est -il définitivement acquis au salarié du fait de sa qualification de prime d’arrivée et de son versement au moment de l’embauche ou peut-il être soumis à une condition de présence dans l’entreprise et, en ce cas, faire l’objet d’un remboursement en cas de départ - et notamment de démission - du salarié ?

Par le passé, des générations de rédacteurs ont dû se résigner en constatant que la liberté de travail, appréciée au sens large par les juridictions du fond, l’emportait aisément sur l’intérêt légitime de l’employeur d’attirer durablement un talent et de rémunérer autant l’embauche que la fidélité.

En effet, la majorité des clauses prévoyait, qu’en cas de départ du salarié dans un délai de 3, voire de 5 ans après l’embauche, la prime d’arrivée devait être restituée à l’employeur selon des modalités diverses.

En cas de départ prématuré, l’employeur risquait alors qu’on lui oppose le caractère illicite de la clause pour les motifs suivants :

  • La prime était versée au moment de l’embauche et donc en contrepartie de la venue du salarié, elle était par conséquent immédiatement acquise au salarié
  • Elle ne pouvait alors être conditionnée par le maintien du contrat de travail dans une période donnée
  • Un tel conditionnement apparaissant par ailleurs disproportionné et non nécessaire face au principe constitutionnel de la liberté du travail

Beaucoup de sociétés financières se sont de facto trouvées dans une impasse : les conditions de rémunération du marché et une concurrence assidue les obligeaient à proposer ce type de prime, sans pouvoir réellement sécuriser à terme la fidélisation des talents. Il en résultait une « « surenchère « non maîtrisée pour attirer des forces vives, des primes exponentielles « non récupérables » et une population malgré tout volatile.

La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 9 septembre 2021, n’a pas apporté de solution juridique à ce dilemme.

Elle juge en effet illicite une clause de « prime d’arrivée ». Cette clause prévoyait que "Le salarié percevra à titre de prime initiale, la somme brute de 150 000 euros dont le paiement interviendra dans les 30 jours de l’entrée en fonction du salarié. Dans le cas où le salarié démissionne ou si le salarié est licencié pour faute grave ou lourde à la fin de la 3ème année à compter de la date de son commencement, le salarié pourra conserver 1/36 -ème de la prime d’arrivée pour chaque mois complet de travail après la date de son commencement."

La Cour précise que le droit à gratification peut bien être subordonné à l’appartenance du salarié à l’entreprise au moment de sa distribution, mais ne peut l’être à sa présence à une date postérieure à son versement, car cela porte atteinte à la liberté du travail.

Avec la conséquence en l’espèce, que le salarié trader embauché le 1er janvier 2016 et ayant perçu une prime de 150 000 euros dans les 30 jours à compter de cette date ne devait aucun remboursement le 16 mars 2017, date de sa démission, alors que, en application de la clause, il devait rembourser près de 80 000 euros à son employeur.

Le 11 mai 2023, la Cour de cassation a cassé cet arrêt et a jugé au fond que :

Une clause convenue entre les parties, dont l’objet est de fidéliser le salarié … peut, sans porter une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté du travail, subordonner l’acquisition de l’intégralité de la prime, indépendante de la rémunération de l’activité du salarié, à une condition de présence de ce dernier dans l’entreprise pendant une certaine durée après son versement et prévoir le remboursement de la prime au prorata du temps que le salarié, en raison de sa démission, n’aura pas passé dans l’entreprise avant l’échéance prévue.

La Haute Juridiction valide ainsi la clause et condamne le salarié au remboursement de la prime d’arrivée prorata temporis. Elle apporte une clarification certaine des conditions de validité de ces clauses et du remboursement potentiel des primes « non entièrement acquises ».

A ce titre, la Cour de Cassation souligne non seulement l’objectif de ces clauses qui est bel et bien la fidélisation des salariés (peu importe l’appellation de la prime et le moment du versement), mais explique également le fondement de son raisonnement basé sur le principe « pacta sunt servanda ».

La Cour de cassation rappelle en effet que le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun et doit être exécuté de bonne foi.
Ainsi, une clause, acceptée par le salarié prévoyant le versement d’une prime en sus de la rémunération annuelle du salarié, peut conditionner l’acquisition de l’intégralité de la prime à une condition de présence, peu importe le montant du versement de la prime.

Le salarié doit alors accepter de devoir rembourser la partie non acquise de la prime en cas de démission.

L’on peut cependant s’interroger sur la portée de cette solution en cas de départ contraint du salarié (= licenciement pour motif réel et sérieux, faute grave ou lourde…). En l’espèce, la clause s’appliquait également en cas de licenciement pour faute grave ou lourde, mais la Cour de Cassation ne s’est pas prononcée sur ces hypothèses, car le salarié était démissionnaire.

Il nous semble que l’on puisse s’interroger sur la validité d’une clause prévoyant un remboursement prorata temporis dans l’hypothèse où le départ n’est pas imputable au salarié. En cas de licenciement, l’entreprise prive en effet le salarié unilatéralement de la possibilité d’acquérir l’ancienneté requise pour pouvoir revendiquer la prime dans son intégralité, alors qu’il a accepté de se lier à l’entreprise employeur pour une période déterminée avec l’objectif de pouvoir disposer de la prime dans son intégralité.

Dans l’attente de plus de précisions quant à la portée de la clause, il faut à notre sens rester prudent dans la rédaction et respecter en tout état de cause la proportionnalité du remboursement de la prime au prorata du temps passé par le salarié dans l’entreprise.


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