30 octobre 2023
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CJUE, 29 juin 2023, aff. C-211-22, Super Bock Bebidas
Le litige dont la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a eu à connaître dans cette affaire opposait un producteur de boisson portugais (la société Super Bock) à l’Autorité de la concurrence portugaise.
L’Autorité portugaise avait infligé à la société Super Bock une amende de 24 millions d’euros pour avoir imposé à ses distributeurs des prix fixes ou minimums de revente, sur le fondement de l’article 101 §1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui interdit les ententes anticoncurrentielles.
Le Tribunal de la concurrence du Portugal a, par la suite, confirmé la décision de l’Autorité.
La société Super Bock a alors interjeté appel devant la Cour d’appel de Lisbonne qui a adressé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE.
La CJUE a ainsi été amenée à se prononcer sur la qualification de la pratique de prix imposés en droit de la concurrence (1) et à rappeler les critères de qualification d’un accord anticoncurrentiel (2).
La première question portée devant la Cour était la suivante : un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente constitue-il une restriction de concurrence par objet, sans examen préalable de son degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence ?
A cette question, la Cour répond par la négative.
La Cour énonce que la notion de « restriction par objet » doit être interprétée de manière restrictive et qu’elle ne peut être appliquée que si la pratique a un degré de nocivité suffisant sur la concurrence.
Elle invite, ce faisant, les autorités de concurrence et les juridictions nationales à une certaine rigueur qu’elles n’ont pas toujours. A titre d’exemple, l’Autorité de la concurrence française (ADLC) a, ces dernières années, sanctionné à plusieurs reprises des pratiques de prix imposés en les qualifiant de « restriction par objet » sans pour autant fournir une analyse du degré de nocivité de cette pratique (ADLC, 12 octobre 2021, n°21-D-24 et ADLC, 3 décembre 2020, n° 20-D-20). L’arrêt de la CJUE leur impose donc de caractériser un degré de nocivité suffisant.
Afin d’apprécier le degré de nocivité sur la concurrence de la pratique, la Cour énumère plusieurs critères à examiner afin d’établir une grille d’analyse :
Il convient également, selon la Cour, de tenir compte de la circonstance qu’un tel accord est susceptible de relever de la catégorie des « restrictions caractérisées » au sens du règlement d’exemption. Mais la Cour rappelle que si le règlement d’exemption sur les restrictions verticales qualifie l’imposition d’un prix de revente de « restriction caractérisée », cette notion n’est pas interchangeable avec celle de restriction par objet de l’article 101 §1 TFUE de sorte qu’elle ne dispense pas les autorités et juridictions de caractériser le degré de nocivité suffisant de la pratique.
Par ailleurs, la Cour rappelle que le caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence peut être rediscuté en présence d’effets pro-concurrentiels « avérés, pertinents et propres à l’accord concerné et suffisamment importants ». Cette approche rappelle la jurisprudence Leegin de la Cour Suprême des Etats-Unis de 2007, qui aborde la question de l’imposition d’un prix de revente sous l’angle de la règle de raison (autrement dit la mise en balance des effets anti-concurrentiels et pro-concurrentiels de la pratique de prix imposés) (Leegin Creative Leather Products, Inc. v. PSKS, Inc., 551 U.S. 877).
Cet arrêt est important et bienvenu car il empêche la sanction automatique de la pratique de prix imposé et oblige les autorités de concurrence à une analyse au cas par cas de chaque pratique et du contexte dans lequel elles sont mises en œuvre. Si la pratique de prix imposé n’a pas de degré de nocivité suffisant sur la concurrence, elle ne constituera pas une restriction de concurrence par objet et il conviendra de démontrer qu’elle a un effet négatif sensible sur la concurrence pour pouvoir entrer en voie de condamnation.
L’avenir dira comment les autorités de concurrence et juridictions nationales mettront en œuvre la grille d’analyse dégagée par la CJUE, mais cette jurisprudence doit, en tout état de cause, être approuvée.
2. La CJUE rappelle que l’existence d’un « accord » ne peut résulter que d’une volonté concordante des parties et non de l’expression d’une politique unilatérale
La deuxième question posée à la Cour était la suivante : la notion d’ « accord » au sens de l’article 101 §1 TFUE (autrement dit accord anticoncurrentiel) peut-elle être caractérisée lorsqu’un fournisseur impose à ses distributeurs des prix minimaux de revente des produits qu’il commercialise ?
La Cour répond cette fois par la positive en précisant les critères d’analyse de cette notion.
En l’espèce, le fournisseur transmettait régulièrement à ses distributeurs des listes de prix minimaux de revente et de marges de distribution. En pratique, les distributeurs appliquaient ces prix car le fournisseur avait mis en place des mécanismes de surveillance des prix et des mesures de rétorsion en cas de non-respect.
La Cour rappelle qu’au sens de l’article 101 §1 TFUE, il y a « accord » lorsque les entreprises en cause ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée. Ainsi, l’expression d’une politique purement unilatérale d’une partie à un contrat de distribution ne saurait suffire à caractériser un tel « accord ». Cependant, la Cour tempère ce propos en énonçant qu’un acte ou un comportement apparemment unilatéral constitue un accord au sens de l’article 101 §1 dès lors qu’il est l’expression de la volonté concordante de deux parties au moins qui peut résulter des clauses du contrat ou du comportement de celles-ci et notamment par l’existence éventuelle d’un acquiescement, exprès ou tacite de la part des distributeurs à une invitation de respecter des prix minimaux de revente.
En l’espèce, il ne s’agissait donc pas d’un comportement unilatéral du fournisseur dans l’imposition des prix mais bien d’une volonté réciproque des distributeurs d’appliquer les prix imposés.
La preuve de l’accord de volonté peut être établie de manière directe mais également au moyen d’indices objectifs et concordants.
A cet égard, la Commission d’examen des pratiques commerciales française (CEPC) avait rappelé, en 2021, que pour qu’une entente sur le prix de revente soit caractérisée, trois conditions cumulatives devaient être remplies : « le fournisseur a communiqué à son distributeur des prix de revente au détail (évocation de prix, généralement présentés comme n’étant que conseillés) ; une police des prix a été mise en place par le fournisseur pour éviter que des distributeurs déviants ne compromettent le fonctionnement de l’entente (menace de représailles, de déréférencement) ; les prix communiqués par le fournisseur sont significativement appliqués par une forte majorité des distributeurs du réseau. » (CEPC Avis n°21-4 et 21-5 du 31 mai 2021).
CA Paris, Pôle 5, Ch. 4, 7 juin 2023, n° 22/19733
Dans cette affaire, à la suite d’une enquête menée par la DGCCRF, le Ministre de l’Economie a assigné la société GE Energy Products France considérant que les contrats qu’elle concluait avec les fournisseurs contenaient des clauses significativement déséquilibrées. Pour en convaincre les juges, le Ministre de l’Economie versait aux débats une trentaine de procès-verbaux d’audition anonymisés de personnes présentées comme étant les fournisseurs de la société GE Energy Products France.
Dans un premier arrêt rendu le 12 juin 2019, la Cour d’appel de Paris avait sanctionné la société GE Energy Products France sur le fondement du déséquilibre significatif en se basant notamment sur ces procès-verbaux (CA Paris, 12 juin 2019, n° 18/20323) mais cet arrêt avait été cassé le 11 mai 2022 par la Cour de cassation sur le fondement du droit à un procès équitable (Cass. Com., 11 mai 2022, n° 19-22242).
La Cour d’appel de Paris, autrement composée, jugeait donc, cette fois, sur renvoi de la Cour de cassation.
Le débat portait ainsi sur la question des procès-verbaux anonymisés – qui ne sera pas examinée ici car la Cour d’appel a jugé dans le sens voulu par la Cour de cassation – mais également, et c’est qui retiendra l’attention, sur celui de la notion de « soumission ».
La Cour d’appel de Paris a d’abord rappelé la définition donnée à cette notion par la Cour de cassation, à savoir que cela impliquait la démonstration « de l’absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées ».
Pour la Cour :
En l’espèce, la Cour décide de s’intéresser particulièrement à la structure du marché et à l’équilibre des forces économiques entre GE Energy Products France.
Elle estime que l’existence ou non d’un état de dépendance économique est un « critère pertinent pour évaluer le rapport de force et l’existence d’une soumission » et relève qu’en l’espèce, les fournisseurs avaient des activités très diversifiées, que les relations commerciales avec la société GE Energy Products France avaient donc une importance très variable, qu’une majorité de fournisseurs disposaient d’autres débouchés variés, et que si GE Energy Products France avait, en aval, une position forte lui accordant un « pouvoir de négociation réel », « la structuration du marché en amont sur lequel elle s’approvisionne n’induit aucun déséquilibre structurel tel qu’il serait l’indice d’une impossibilité de négocier les conditions qu’elle propose », dès lors que certains fournisseurs jouissent d’une « situation de « quasi-monopole » dans leur relation avec GE Energy Products France ».
Cette décision se situe dans le prolongement du courant jurisprudentiel dégagé il y a quelques années aux termes duquel les juridictions se sont attachées à examiner le caractère incontournable du partenaire et la liberté des prétendues victimes de contracter ou de résilier (Cass. Com., 26 avril 2017, n° 15-27865 ; CA Paris, 11 janvier 2019, n°17/00234 ; CA Paris 24 mars 2021, n° 19/13527 ; TC 28 mars 2022, n° 2018017655 ; TC Paris, 2 septembre 2019, n° 2017050625).
En conséquence, pour caractériser l’existence d’une soumission, l’un des critères à examiner est l’existence, ou non, d’alternative réelle et sérieuse à l’offre de la société accusée de soumettre ses cocontractants à un déséquilibre significatif. En cas d’alternative, les cocontractants ne seront en principe pas contraints de contracter ou d’accepter des obligations qui lui seraient défavorables.
On peut se féliciter de cette prise de position.
La Cour prend toutefois le soin de compléter son analyse en relevant d’autres indices concordants : en l’espèce, près de 30% des fournisseurs n’avaient pas adhéré au système de paiement particulier de GE Energy Products France (qui était critiqué par le Ministre de l’Economie) et que certains des fournisseurs (14 selon la Cour), avaient négocié le contrat. La Cour note que « quoique peu nombreuses, ces hypothèses confirment la possibilité d’une négociation réelle. »
La Cour en conclut l’absence de soumission et, par voie de conséquence, d’application des dispositions sur le déséquilibre significatif (actuel article L.442-1, I, 2° du Code de commerce).
CA Paris, Pôle 5, Chambre 4, 5 juillet 2023, n°22/19028
Afin de caractériser une rupture brutale des relations commerciales établies (interdite par l’article L.442-1, I, II du Code de commerce, anciennement L.442-6, I, 5° du Code de commerce), le juge doit notamment vérifier (i) si la relation commerciale était effectivement établie entre les parties et depuis quand et (ii) le caractère suffisant du préavis. La durée de celui-ci doit prendre en compte, notamment, l’ancienneté de la relation commerciale entre les parties, l’éventuel état de dépendance, les usages commerciaux, les investissements réalisés par la partie victime de la rupture…
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 5 juillet 2023 sur renvoi de la Cour de cassation (Cass. Com., 7 septembre 2022, n°21-12.704) lui a permis de rappeler deux règles : la première est qu’en cas de reprise de fonds de commerce, la relation commerciale préexistante ne se poursuit que si telle est l’intention des parties ; la seconde est qu’en cas de rupture d’une relation commerciale établie, le préavis doit être effectif.
Dans cette affaire, un fournisseur spécialisé dans la fabrication et la vente de tissus, tapis et tapisseries avait mis fin, en 2012, avec un préavis de 6 mois, à sa relation commerciale avec un distributeur. Celui-ci l’avait alors assigné sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° (ancien) du Code de commerce, considérant que le préavis était insuffisant, la relation ayant débuté en 1993.
En défense, le fournisseur faisait valoir que sa relation avec le distributeur datait non pas de 1993 mais de 2004, date à laquelle il avait acquis, dans le cadre d’une procédure collective, les actifs de son prédécesseur dans la relation avec le distributeur. Or, à l’occasion de cette acquisition, il avait pris soin d’indiquer dans son offre d’acquisition que le contrat qui liait son prédécesseur au distributeur n’était pas repris.
La Cour d’appel de Paris rappelle que : « la poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l’a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d’une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation ». Mais en l’espèce, l’intention du repreneur ne faisait aucun doute : il n’entendait pas poursuivre la même relation, de sorte qu’une nouvelle relation s’était nécessairement nouée.
Cette décision est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Com., 10 février 2021, n°19-15369).
Au regard de l’ancienneté de la relation (7 ans) et du fait que le distributeur avait « une capacité importante de réorientation ou de rééquilibrage de son activité », la Cour d’appel confirme que le préavis de six mois qui avait été accordé par le fournisseur était suffisant.
Cette affaire est également l’occasion pour la Cour de rappeler que le préavis accordé doit être effectif. Pendant la durée du préavis, la relation commerciale doit perdurer à des conditions substantiellement similaires à celles existant avant la notification.
Cass. Com., 28 juin 2023, n°21-16.940
Dans cette affaire, un syndicat de copropriétaires d’un centre commercial avait conclu un contrat de prestations de services (de sécurité et de surveillance) avec une société en 2012, pour une durée d’un an avec tacite reconduction pour une durée indéterminée. Chaque partie pouvait mettre fin à la relation en respectant un préavis de trois mois, par lettre recommandée avec avis de réception.
Faisant fi de cette condition, le syndicat de commerçants avait résilié le contrat avec le prestataire en 2015, après lui avoir adressé une lettre simple avec un préavis d’un peu plus d’un mois. Le prestataire l’avait alors attraite en justice pour rupture brutale de relation commerciale établie.
Pour confirmer que les dispositions de l’article L.442-6, I, 5° (ancien) du Code de commerce (L.442-1, II du Code de commerce) s’appliquent à la relation entre le syndicat et le prestataire de services, la Cour de cassation rappelle que les règles du livre IV du Code de commerce (dont les dispositions relatives à la rupture brutale de relation commerciale établie) s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services et que la nature civile du syndicat « ne fait pas écran à la nature commerciale de la relation des parties » car le syndicat de commerçants agissait dans « l’intérêt de l’exploitation, des établissements commerciaux de chacun de ses membres ».
La Cour précise ensuite que le préjudice « s’évalue en considération de la marge brute escomptée » et que celle-ci est « la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis », et que pourra également « être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période ».
L’usage du qualificatif de « marge brute » est surprenant car celle-ci ne se confond pas, en principe, avec la notion de « marge sur coûts variables » qui est le bon référentiel utilisé depuis plusieurs années par les tribunaux. C’est bien, toutefois, à la marge sur coûts variables que la Haute juridiction fait référence.
En outre, on ne peut qu’approuver la Cour de demander aux juges du fond de vérifier également si des coûts fixes ont pu être économisés par la victime de la rupture, du fait de celle-ci. En général, tel ne sera pas le cas car les coûts fixes sont précisément ceux qui sont invariables quelle que soit le niveau d’activité. Toutefois, lorsqu’un préavis très long (par exemple 18 mois) aurait dû être accordé, il peut arriver que certains coûts fixes soient économisés par la partie victime de la rupture. Il y a donc lieu d’en tenir compte.
CA Paris, Ch. Com. Int., 4 juillet 2023, n°20/18196
Dans cette affaire, un agent commercial français (société Velma) et une société américaine (MCC) avaient conclu, en 2015, un contrat d’agent commercial (appelé « Agency Agreement ») par lequel la société Velma devenait le représentant exclusif de MCC en France et en Afrique. Le contrat était soumis au droit de l’Etat de New York.
En 2020, MCC avait décidé de mettre un terme à la relation pour manquement de Velma à ses obligations contractuelles. Velma avait alors saisi le Tribunal de commerce de Paris du litige et sollicité l’application à titre de loi de police des dispositions protectrices du Code de commerce sur les agents commerciaux (article L.134-1 et suivants du Code de commerce, issus de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986) tout en contestant la validité de la clause de non-concurrence post-contractuelle.
Déboutée en première instance par le Tribunal sur le fondement du droit de l’Etat de New York, Velma a interjeté appel et sollicité de la Cour d’appel de Paris qu’elle infirme la décision et, subsidiairement, qu’elle pose une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin que celle-ci se prononce sur la portée de l’effectivité en droit interne de la directive de 1986, afin de faire prévaloir le droit français sur le droit de l’Etat de New York choisi par les parties pour régir leur contrat. Velma demandait en outre qu’à supposer que la loi française relative à l’agence commerciale ne soit pas une loi de police et qu’il faille en passer par la règle de conflits de lois, la Cour reconnaisse que les dispositions protectrices de la directive de 1986 constituaient un ordre public communautaire et qu’il n’était pas possible d’appliquer un droit étranger qui excluait toute indemnisation de l’agent en cas de résiliation du contrat.
La Cour d’appel de Paris fait d’abord application des critères fixés par la CJUE dans l’affaire Trendsetteuse (CJUE, 4 juin 2020, C-828/18) afin de confirmer la qualification d’agence commercial de la relation contractuelle entre les parties, celle-ci n’étant pas conditionnée par l’existence d’un pouvoir de négocier les prix.
La Cour répond ensuite sur la qualification de loi de police pour exclure cette qualification. Dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Com., 28 novembre 2000, n°98-11.335 ; Cass. Com, 5 janvier 2016, n°14-10628) et de sa propre jurisprudence récente (CA Paris, 13 février 2020, RG 16/15098, CA Paris, 23 novembre 2021, RG 19/15670) et malgré la jurisprudence de la CJUE (CJCE, 9 novembre 2000, Ingmar, C-381/98), la Cour d’appel de Paris rejette fermement la qualification de loi de police, estimant que la directive n’a fait que fixer des règles de protection minimale. Les dispositions concernées n'ont ainsi pas vocation à évincer d’office la loi étrangère (c’est le mécanisme des lois de police) mais à assurer un « cadre minimal de protection » applicable si la loi étrangère ne le respecte pas (voir à ce sujet : Cass. Com., 7 septembre 2022, n°18-15964).
C’est donc sur le terrain de l’ordre public international qu’il convient, selon la Cour, de se placer. Sur ce point, la Cour se réfère à l’article 17 de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 applicable aux contrats d’intermédiaires (identique à l’article 21 du règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles) et rappelle que la loi choisie par les parties peut être écartée si elle est « manifestement incompatible avec l’ordre public du for ». Or, selon la Cour, si la loi de l’Etat de New York ne prévoit pas d’indemnité de résiliation au profit de l’agent de manière automatique, rien n'interdit aux parties de prévoir contractuellement cette indemnité. La Cour en déduit que le droit de l’Etat de New York n’est pas manifestement incompatible avec le droit français.
Cette décision interroge car le droit de New York, en rendant l’indemnité seulement facultative, n’est manifestement pas en phase avec le « cadre minimal de protection » souhaité par la CJUE et reconnu par la Cour de cassation.
Ayant décidé de faire application de la loi de l’Etat de New York, la Cour d’appel tranche donc le litige au regard des règles de cet Etat et (i) rejette la demande d’indemnisation de la rupture, (ii) fait droit à la demande d’indemnisation du préavis, (iii) rejette la demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat d’agent, (iv) rappelle que l’agent doit être rémunéré pour ses interventions, et (v) valide la clause de non-concurrence post-contractuelle.
CJUE, 17 mai 2023, DC contre HJ, aff. C-97/22
Cette affaire a donné l’occasion à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de se prononcer sur les conséquences du défaut d’information précontractuelle dans le cadre d’un contrat conclu hors établissement.
Les faits étaient les suivants : un contrat portant sur la rénovation de l’installation électrique d’une maison avait été conclu oralement entre un consommateur et une entreprise (et hors de l’établissement du professionnel).
Le professionnel n’avait donc pas informé le consommateur sur son droit de rétraction, ce qui est pourtant une obligation légale découlant de la Directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 (laquelle a été transposée en droit français à l’article L.221-5 du Code de la consommation).
Alors que le professionnel avait déjà exécuté la prestation et adressé au consommateur la facture relative à celle-ci, le consommateur s’est rétracté et a refusé de régler la facture au motif que le professionnel ne lui avait donné aucune information sur son droit de se rétracter et avait réalisé les travaux avant la fin du délai de rétractation de 14 jours.
Le professionnel avait alors assigné son client devant le Landgericht (tribunal) de Essen.
Saisie par la juridiction allemande d’un recours préjudiciel, la CJUE a rappelé que la Directive 2011/83/UE visait à protéger le consommateur dans le contexte particulier de la conclusion d’un contrat à distance ou hors établissement.
Selon la Cour, ce consommateur « peut être soumis à une pression psychologique éventuelle ou être confronté à un élément de surprise, qu’il ait ou non sollicité la visite du professionnel concerné. Dès lors, l’information précontractuelle concernant ce droit de rétractation revêt, pour ledit consommateur, une importance fondamentale et lui permet de prendre, d’une façon éclairée, la décision de conclure ou non ce contrat. »
En cas de défaillance du professionnel dans la communication de l’information précontractuelle sur le droit de rétractation, c’est donc, selon la Cour, au professionnel d’assumer les coûts relatifs à l’exécution de la prestation, même si celle-ci a été intégralement fournie et le consommateur est exonéré de toute obligation de payer.
Cette solution, dure pour le professionnel qui a intégralement réalisé la prestation, invite les professionnels concluant des contrats à distance à beaucoup de rigueur dans leur processus de contractualisation. Rappelons à cet égard qu’aux termes de l’article L.221-7 du Code de la consommation : « La charge de la preuve du respect des obligations d'information (…) pèse sur le professionnel. »
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