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21 janvier 2022

Newsletter Franchise & Distribution – No 28

  • In-depth analysis

Actualité juridique en France

Retrouvez l'analyse de notre équipe sur les sujets suivants :

  • Prix imposés : un réseau de franchise sanctionné par l’Autorité de la concurrence
  • Le droit du franchiseur de ne pas renouveler le contrat de franchise
  • Loyauté de la preuve et recevabilité de l’attestation d’un client mystère
  • Déséquilibre significatif : articulation entre les dispositions de droit commun de l’article 1171 du Code civil et celles de l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce
  • Vente sur internet par le franchiseur : attention à la rédaction du contrat
  • Détermination de la loi applicable au contrat de distribution en l’absence de choix exprès par les parties

 

 Nouvelles du Monde

Retrouvez également les actualités des pays suivants avec le concours de nos correspondants internationaux, spécialistes de la franchise : Australie, Brésil, Canada, Chine, Danemark, Etats-Unis, Inde, Portugal, Russie, Vietnam.


Actualité juridique en France

Prix imposés : un réseau de franchise sanctionné par l’Autorité de la concurrence

Décision n° 21-D-24 de l’Autorité de la concurrence du 12 octobre 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution d’équipements de loisirs footballistiques

L’imposition des prix de revente de produits ou de services dans les relations entre fournisseurs et distributeurs ou au sein de réseaux (de franchise par exemple) est une pratique anticoncurrentielle prohibée aussi bien par les textes européens (article 101§1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) que par les textes français (article L.420-1 du Code de commerce, qui interdit les ententes anticoncurrentielles. C’est également une pratique restrictive de concurrence sanctionnée par une amende de 75.000 euros (article L.442-6 du Code de commerce).

Sauf rares exceptions (telles que le lancement d’un nouveau produit ou une campagne de prix bas de courte durée par exemple) imposer un prix de revente à son distributeur est donc illicite.

Les fournisseurs ou têtes de réseaux peuvent néanmoins, sans encourir de sanctions, conseiller des prix de vente ou indiquer des prix maxima à leurs revendeurs ou membres.

En fin d’année 2021, l’Autorité de la concurrence a eu l’occasion de se prononcer, sur le fondement de l’article L.420-1 du Code de commerce, sur une pratique de prix imposés ayant eu lieu au sein d’un réseau de franchise.

En l’espèce, Espace Foot, franchiseur spécialisé dans la vente de produits liés au football, avait introduit dans les contrats de franchise conclus avec ses franchisés une clause imposant le respect, par ces derniers, de la politique tarifaire définie par la tête de réseau.

La clause litigieuse stipulait ce qui suit : « dans l’esprit de protection de l’image de marque, le Franchiseur communiquera les prix de vente courants, et le Franchisé appliquera les prix communiqués. Le franchisé respectera les lois et arrêtés réglementant les prix ».

Au cours de l’instruction de l’affaire, plusieurs franchisés ont déclaré appliquer la stratégie tarifaire et les prix qui leur étaient indiqués. Il a également été relevé par l’Autorité de la concurrence que le franchiseur avait imposé une sanction pécuniaire à l’un de ses franchisés pour non-respect de la politique tarifaire, et que l’ensemble du réseau avait, telle une menace, été informé de cette sanction.

La pratique a cessé en 2018, lorsque les franchisés ont signé le nouveau modèle de contrat du réseau, qui stipulait que : « le franchisé est un commerçant indépendant. A ce titre, il détermine librement ses prix de vente et dispose de la maîtrise de ses marges (…) ».

Le franchiseur a sollicité la procédure de transaction, qui permet d’obtenir de l’Autorité une fourchette dans laquelle se situerait la sanction. La sanction financière prononcée (25.000 euros) a été déterminée au regard de la gravité de l’infraction (notamment du fait que l’ensemble du réseau l’ait mise en œuvre), du dommage à l’économie (très limité en l’espèce en raison de la faible part de marché d’Espace Foot) et des circonstances propres à Espace Foot.

Cette décision fait suite à celle rendue par l’Autorité de la concurrence en décembre 2020 dans laquelle la société Damman Frères avait été sanctionnée pour une pratique similaire, qui consistait à diffuser des prix « conseillés » mais à sanctionner les distributeurs qui ne les appliquaient pas (Décision n°20-D-20 du 3 décembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des thés haut de gamme).

Ces décisions confirment l’attention que porte encore l’Autorité de la concurrence à ces pratiques de prix imposés (qui sont toutefois plus rares aujourd’hui qu’il y a vingt ans) et invitent les réseaux à une certaine vigilance en la matière, malgré la tentation d’uniformiser les prix au sein du réseau.

Il est également intéressant de constater que dans cette décision rendue en octobre 2021, l’Autorité a fait référence à la notion de « dommage à l’économie », alors même que ce critère a été remplacé, dans le nouveau communiqué de l’Autorité sur les sanctions datant de juillet 2021, par celui de la durée de l’infraction.



Le droit du franchiseur de ne pas renouveler le contrat de franchise

CA Paris, 1er septembre 2021, n° 19/00494

Le franchisé ne dispose pas d’un droit au maintien de la relation contractuelle et donc au renouvellement de son contrat. En effet, la tête de réseau a la liberté de réorganiser le réseau (ex. CA Paris, 2 novembre 2016, n° 14/10659).

Ainsi, en l’absence de stipulation contractuelle contraire, le franchiseur est autorisé à ne pas renouveler le contrat de franchise à son échéance, sous la seule réserve de l’abus de droit.

L’abus du droit du franchiseur de ne pas renouveler le contrat peut être constitué lorsque le franchiseur a, par son attitude, laissé croire au franchisé que le contrat serait renouvelé à son échéance ou exposé le franchisé (ou les associés de celui-ci) à effectuer des investissements, à supporter des coûts ou à s'endetter dans des proportions excessives.

Dans cette affaire, le franchiseur avait décidé de ne pas renouveler un certain nombre de contrats de franchise à leur échéance.

Certains franchisés non renouvelés ont reproché au franchiseur d'avoir adopté un comportement déloyal par une approche délibérément discriminatoire favorisant l'activité de ses succursales et ont demandé l’indemnisation de leurs préjudices résultant, selon eux, de l‘abus de droit du franchiseur de ne pas renouveler les contrats de franchise. La cour d'appel de Versailles, par plusieurs arrêts de janvier, février et mars 2017, avait rejeté les demandes des franchisés (CA Versailles, 24 janvier 2017, n° 15/00708, 15/00795, 15/00955, 15/00071, 15/00954 et 15/00957 ; CA Versailles, 21 février 2017, n° 15/00070 et 15/00794 ; CA Versailles, 14 mars 2017, n° 15/00146).

Par huit arrêts du 4 septembre 2018, la Cour de cassation avait cassé partiellement certains des arrêts de la Cour d’appel de Versailles au motif que cette dernière avait dénaturé les conclusions des franchisés en se fondant sur l'absence d'intention de nuire du franchiseur, alors que les conclusions des franchisés invoquaient la déloyauté contractuelle, laquelle ne se limite pas à l'intention de nuire (en ce sens - Cass. Com., 3 juin 1997, n° 95-12402 : « l'abus dans la résiliation d'une convention ne résulte pas exclusivement de la volonté de nuire de celui qui résilie »).

L’arrêt commenté, rendu par la Cour d’appel de Paris le 1er septembre 2021, s’inscrit dans la continuité des arrêts rendus dans cette affaire sur renvoi après cassation par la Cour d’appel de Paris les 17 et 24 mars, et 5 mai 2021. Tout comme les précédents, il est particulièrement didactique sur l’appréciation des circonstances qui permettent d’établir si le franchiseur a été déloyal à l'occasion de l'exercice de son droit de non-renouvellement du contrat de franchise.

Tout d’abord, la Cour d’appel de Paris rappelle que la charge de la preuve de la déloyauté contractuelle pèse sur le franchisé.

Elle caractérise ensuite les comportements susceptibles de caractériser la faute du franchiseur à savoir :

(i) le fait de laisser croire au franchisé que le contrat serait renouvelé à son échéance, ou
(ii) le fait d’exposer la société franchisée ou les associés de celle-ci à effectuer des investissements, à supporter des coûts ou à s'endetter dans des proportions excessives.

Or, en l’espèce, ces comportements n’étaient pas démontrés.

La Cour d’appel de Paris rappelle également que rien ne permet de retenir que le franchiseur, en mettant fin simultanément à un nombre important de contrats de franchise, a excédé de mauvaise foi ses prérogatives liées à l'organisation du réseau, au préjudice du franchisé.


La Cour retient enfin qu'en signant le contrat de franchise qui est clair quant à l'existence de la faculté de chaque partie de faire obstacle au renouvellement du contrat par tacite reconduction, le franchisé avait accepté le risque du non-renouvellement du contrat à son échéance, ce qui le privait de la possibilité de se plaindre valablement des conséquences du non-renouvellement par la suite.

La Cour d’appel de Paris a donc débouté les franchisés de l’ensemble de leurs demandes.



Loyauté de la preuve et recevabilité de l’attestation d’un client mystère

Cass. Com., 10 novembre 2021, n° 20-14669 et n° 20-14670

Conformément au principe de loyauté dans l’administration de la preuve, sont déclarés irrecevables en matières civile et commerciale, les éléments de preuves obtenus de façon déloyale à l’aide de ruse ou de stratagème.

Ainsi, par exemple, l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve (Cass. Ass. Plén., 7 janvier 2011, n° 09-14316 et n° 09-14667).

De même, l’opération menée par une société dépêchant un client fictif chez un concurrent pour acquérir un produit et établir la violation d’une exclusivité est, elle aussi, contraire au principe de loyauté de la preuve (Cass. Com., 18 novembre 2008, n° 07-13365).

C’est en ce sens que statuent deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 10 novembre 2021.

Dans ces deux affaires, un syndicat professionnel ayant notamment pour mission de moraliser et défendre l’éthique de la profession des opticiens-lunetiers avait organisé auprès de différents magasins d’optique, la visite de clients mystère pour dénoncer les pratiques consistant à falsifier les factures en augmentant le prix des verres et en diminuant celui des montures afin que le montant pris en charge par les mutuelles soit plus important.

Se prévalant des attestations de ces clients mystère, le syndicat a assigné deux sociétés d’opticiens en cessation des actes de concurrence déloyale et en paiement de dommages-intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession.

Les Cours d’appel de Lyon et Paris ont rejeté la demande du syndicat en déclarant les attestations produites irrecevables.

Le syndicat s’est alors pourvu en cassation.

Après avoir rappelé le principe selon lequel « la preuve obtenue par un stratagème se caractérisant par un montage, une mise en scène, une opération clandestine est déloyale », la Cour de cassation rejette les pourvois aux motifs que les attestations avaient été établies par des clients mystère rémunérés par une société spécialisée « dans le recrutement de ce genre de prestataires, pour effectuer un scénario non réel dont le déroulement avait été dicté », qu’ils avaient déjà rédigé des attestations au profit du syndicat dans d’autres affaires et que cela était de nature à faire douter de leur « parfaite neutralité dans l’établissement des témoignages produits ».

De même, la Cour de cassation relève que les clients mystère avaient « d’emblée appelé l’attention des opticiens sur les montants de prise en charge des verres et montures par leur mutuelle, ce qui ne permettait pas d’écarter la thèse selon laquelle les opticiens ont été incités à la fraude, le remboursement des produits par la mutuelle ne pouvant être perçu par eux que comme un élément déterminant de la vente ».

La solution est claire : toute fictivité ou provocation à la faute exclut la loyauté et est donc prohibée.

Ces arrêts sont intéressants pour les réseaux de franchise, dans lesquels le recours aux clients mystère est fréquent. Ce procédé, dont la licéité intrinsèque n’est pas contestée par la Cour de cassation, doit être utilisé avec prudence et retenue. Les constatations des clients mystère doivent ainsi conduire à des mises en garde suivies de contre-visites plutôt qu’à des sanctions immédiates.



Déséquilibre significatif : articulation entre les dispositions de droit commun de l’article 1171 du Code civil et celles de l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce

CA Paris, 11 novembre 2021, n°20/00022

Le droit positif comporte diverses règles permettant d’articuler l’application de certaines dispositions juridiques entre elles. L’une de ces règles est le principe selon lequel « le spécial déroge au général ». Ce principe permet, dans l’hypothèse où deux dispositions juridiques auraient un même objet, d’appliquer en priorité la disposition spéciale et non la plus générale. L’objectif de ce principe est évidemment d’appliquer le texte le plus spécifique pour répondre à une situation donnée tout en évitant les potentiels effets contradictoires ou incohérences susceptibles de résulter de l’application de deux dispositions différentes. Ce principe est fixé à l’article 1105 §3 du Code civil et reconnu par la Cour de cassation (Cass. Civ. 1, 9 mars 2016, n°15.18899 et 15 19652).

Dans un arrêt rendu le 5 novembre 2021, la Cour d’appel de Paris a refusé d’appliquer ce principe pour articuler l’application de deux dispositions dont l’objectif est de remédier au déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties à un contrat.

Les dispositions en cause étaient, d’une part, l’article L.442-6, I, 2° du Code de commerce ancien (devenu article L.442-1, I, 2° du même code) qui a été introduit par la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie et, d’autre part, l’article 1171 du Code civil issu de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. Bien qu’ayant des conditions d’application différentes et bien que les sanctions soient distinctes, le texte de droit commun du Code civil et le texte plus spécifique du Code de commerce concourent tous deux à la protection d’une partie contre les clauses créant un déséquilibre significatif entre leurs droits et obligations respectifs.

Dans le cadre de l’affaire ici commentée, s’opposaient deux entreprises ayant conclu un contrat de prestations de service téléphonique. Le client du service, qui avait fait état de dysfonctionnements du service, a sollicité la résiliation immédiate du contrat. Le prestataire a alors demandé à son client le paiement d’une indemnité de résiliation et de différentes factures. Le client refusant de payer, le prestataire l’a assigné devant le Tribunal de commerce de Meaux afin de faire constater la résiliation du contrat à ses torts exclusifs et de le faire condamner au paiement de l’indemnité de résiliation et des factures impayées.

Devant le Tribunal de commerce de Meaux, en se fondant sur les dispositions de l’article 1171 du Code civil, le client a demandé que certaines clauses du contrat de prestations de service téléphonique, qui créaient un prétendu déséquilibre significatif, soient réputées non écrites. Au motif que les deux parties au contrat étaient des professionnels et que « le spécial déroge au général », le Tribunal de commerce de Meaux a refusé de faire application de l’article 1171 du Code civil et a analysé la situation juridique à l’aune de l’article L.442-6 du Code de commerce pour en conclure que les conditions d’application de ce dernier texte n’étaient pas remplies. Le Tribunal a donc débouté le client de sa demande.

Le tribunal ayant prononcé diverses condamnations contre le client, ce dernier a interjeté appel du jugement rendu le 5 novembre 2019 devant la Cour d’appel de Paris. Sur l’argumentaire de l’appelant tendant à faire constater un déséquilibre significatif, la Cour d’appel de Paris, après avoir rappelé que l’article 1171 du Code civil a pour effet de réputer non écrite la clause d’un contrat d’adhésion créant un déséquilibre significatif et expliqué que l’article L.442-6 du Code commerce « ne concerne que les commerçants, traite de la responsabilité et se résout en dommages-intérêts », a décidé : « Contrairement aux premiers juges qui ont décidé qu'en vertu de l'adage « Le spécial déroge au général », l'article 1171 devait être exclu au profit de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, la cour estime que le texte issu du code civil est de portée générale et ne peut être écarté au profit du second. » Toutefois, après examen des demandes et des conditions d’application de ces deux textes, la Cour d’appel a également rejeté leur application et confirmé le jugement en ce qu’il a débouté le client du prestataire.

On retiendra de l’arrêt rendu le 5 novembre 2021 que, la Cour d’appel de Paris considère que les deux textes précités peuvent s’appliquer, sans primauté de l’un sur l’autre, dès lors que leurs conditions d’application sont remplies.

A notre avis, cette décision est problématique à double titre :

  • en premier lieu, parce que, comme indiqué précédemment, elle déroge à la règle selon laquelle le spécial déroge au général. De fait, les dispositions du Code de commerce ne s’appliquent qu’entre professionnels contrairement aux règles générales du code civil et elles prévoient des conditions d’application plus restrictives (notamment la nécessité de démontrer l’existence d’une soumission ou tentative de soumission de l’une des parties par l’autre).

    Le caractère plus restrictif de l’application du texte est justifié par le fait que les parties sont des professionnels, donc plus à même de comprendre leurs engagements et pouvant accepter un certain déséquilibre pourvu qu’ils y trouvent leur intérêt économique. Ce n’est qu’en cas de soumission par un partenaire plus fort et incontournable (ou à tout le moins très difficilement contournable) que le texte doit trouver à s’appliquer.

    D’ailleurs, il convient de rappeler que lors de l’examen de la loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, le Garde des Sceaux avait précisé que « ce dispositif instauré dans le droit commun des contrats n'a pas vocation à s'appliquer dans les champs déjà couverts par des droits spéciaux » et le rapporteur de la Commission des lois avait ajouté : « Votre rapporteur ne peut que constater sur ce point la parfaite cohérence des travaux préparatoires de la ratification de l'ordonnance, de nature à éclairer sans ambiguïté le juge s'il est saisi de la question. »

    Manifestement, ces précisions n’ont pas été portées à la connaissance de la Cour d’appel de Paris…
  • en second lieu, afin d’uniformiser les solutions appliquées par les juridictions en matière de droit des pratiques restrictives (y compris donc les dispositions sur le déséquilibre significatif prévues à l’article L.442-1 du Code de commerce), le législateur avait décidé de conférer à certaines juridictions de première instance spécialisées, et en appel à la Cour d’appel de Paris, une compétence exclusive pour appliquer ces dispositions (articles L.442-4 et D. 442-3 du Code de commerce). L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 11 novembre 2021 va à l’encontre de cet objectif d’uniformisation et risque de favoriser le forum shopping en permettant aux plaideurs de porter leurs différends devant d’autres juridictions que les juridictions désignées par décret, ce qui est, là encore, fort regrettable.




Vente sur internet par le franchiseur : attention à la rédaction du contrat

CA Toulouse, 15 Septembre 2021, n° 20/02800

Dans cette affaire, un franchiseur avait conclu avec ses franchisés, distributeurs exclusifs de produits diététiques, des contrats de franchise leur interdisant de revendre les produits par internet « compte tenu des circonstances exceptionnelles relatives à la spécificité du concept et des produits ».

A la suite de la mise en ligne par le franchiseur d’un site marchand pour commercialiser ces produits, les franchisés ont saisi le juge des référés sur le fondement de l’article 873 du code de procédure civile, invoquant la violation évidente de ladite clause pour caractériser le trouble manifestement illicite et lui demander de faire cesser ces pratiques.


Le juge des référés ayant fait droit à cette demande en ordonnant au franchiseur de cesser dans les quinze jours la commercialisation de l’intégralité de ses produits sur son site internet sous astreinte de 500 euros par jour de retard, ce dernier a interjeté appel faisant valoir que l’interdiction de la vente sur internet ne s’appliquait qu’aux franchisés et que la commercialisation en ligne ne concernait que les zones non affectées à une exclusivité territoriale.

Ces arguments ont été rejetés par la Cour d’appel de Toulouse qui a interprété les dispositions du contrat comme posant une interdiction générale et absolue de vendre sur internet s’appliquant aussi bien au franchiseur qu’au franchisé. La Cour a considéré que dès lors que le comportement du franchiseur violait les dispositions contractuelles, il était constitutif d’un trouble manifestement illicite et de nature à causer une concurrence déloyale à l’égard des franchisés justifiant ainsi le prononcé d’une mesure conservatoire.

Il est intéressant de noter que les franchisés ont préféré faire interdire au franchiseur la commercialisation des produits contractuels par internet plutôt que de faire valoir leur liberté à revendre eux-mêmes par internet, la clause étant nulle comme contraire aux règles de droit de la concurrence (article 4 du Règlement (UE) n° 330/2010 du 20 avril 2010 ; CA Paris, 15 septembre 2020, n°18/06869).

Cette décision invite quoi qu’il en soit les réseaux à bien rédiger les clauses relatives aux ventes en ligne dans leurs contrats, afin de se ménager la possibilité de vendre par internet et, tout en permettant de telles ventes aux franchisés, de les encadrer afin de préserver l’image de la marque.



Détermination de la loi applicable au contrat de distribution en l’absence de choix exprès par les parties

Cass 1ère Civ., 29 septembre 2021, n°20-18954

La question fait débat et divise les praticiens depuis de nombreuses années : les dispositions de l’article L.442-1, II du Code de commerce (ex article L.442-6, I, 5° du Code de commerce) qui sanctionnent la rupture brutale d’une relation commerciale établie sont-elles constitutives d’une loi de police ?

Les juridictions du fond semblent en effet hésiter : plusieurs juridictions s’étaient clairement prononcées en faveur de cette qualification (par exemple : CA Lyon, 30 avril 2008, n° 06/04689 ; CA Grenoble, 5 septembre 2013, n°10/02122). Quant à la Cour d’appel de Paris qui a désormais compétence exclusive pour connaître des litiges fondés sur ce texte, la 4e chambre de son Pôle 5 a admis la qualification de loi de police en 2019 (CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 9 janvier 2019, n°18/09522) alors que les 5e et 16e chambres du même pôle ont rejeté cette qualification en 2020 et 2021 (CA Paris, Pôle 5, ch. 16, 3 juin 2020, n°19/03758 ; CA Paris, Pôle 5, ch. 5, 11 mars 2021, n°18/03112)…

La position de la Cour de cassation sur cette question est donc très attendue afin de mettre un terme à cette incertitude, d’autant plus que cette dernière a récemment reconnu à une autre pratique restrictive de concurrence, la soumission à un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, le caractère de loi de police (Cass. Com., 8 juillet 2020, n°17-31536).

L’affaire soumise à la Cour dans l’arrêt rendu le 29 septembre 2021 aurait pu être l’occasion de procéder à cette clarification.

En l’espèce, un fournisseur français et son distributeur algérien, en relation d’affaires depuis 1977, avaient décidé de procéder à la formalisation de leurs relations commerciales en 2010 par la conclusion d’un contrat de distribution. Ce contrat était toutefois muet sur la loi applicable à leur relation.

Suite à la résiliation du contrat le 1er avril 2016 par le fournisseur français avec un préavis de 6 mois, le distributeur algérien a assigné son ancien partenaire devant le Tribunal de commerce de Paris en revendiquant l’application du droit français afin d’obtenir réparation pour la rupture brutale de leur relation commerciale établie sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° ancien du Code de commerce, mais également une indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de cette rupture sur le fondement des articles L.134-1 et L.134-12 du Code de commerce applicables aux agents commerciaux. Le distributeur algérien soutenait en effet que la relation commerciale avec son fournisseur français présentait un caractère mixte, relevant pour partie de l’agence commerciale, et pour une autre partie d’une relation de distribution classique.

Saisie de ces demandes en appel, la Cour d’appel de Paris a procédé à une analyse distributive de la loi applicable à la relation commerciale établie entre les parties, en identifiant la loi applicable sur le fondement des deux qualifications soumises aux débats.

Pour la qualification de contrat d’agence commerciale, la Cour a donc logiquement fait application de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires et à la représentation pour retenir, sur le fondement de son article 5, l’existence d’un choix de loi tacite des parties en faveur du droit français sur la base d’un faisceau d’indices (clause attributive de compétence aux juridictions françaises, usage du français dans le contrat, signature du contrat en France, etc.).

En ce qui concerne la qualification de contrat de distribution, susceptible de donner lieu à l’engagement de la responsabilité du fournisseur français pour rupture brutale, la Cour d’appel a procédé en deux temps, en écartant tout d’abord la qualification de loi de police des dispositions de l’article L.442-6 I 5° ancien du Code de commerce, pour ensuite retenir l’existence d’un choix de loi tacite des parties en faveur du droit français en s’appuyant sur les mêmes indices, tant sur le fondement du Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles que sur le fondement du Règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles.

Dans son arrêt du 29 septembre 2021, la Cour de cassation a confirmé l’identification du choix de loi tacite des parties par la Cour d’appel de Paris, qui relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Elle ne procède toutefois à cette confirmation qu’au visa de l’article 5 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 et de l’article 3§1 du Règlement Rome I, sans valider ou infirmer le refus de qualification de loi de police de l’article L.442-6, I, 5° ancien du Code de commerce par la Cour d’appel de Paris.

S’il est vrai que le pourvoi du fournisseur français ne soulevait pas cette question, la Haute juridiction aurait pu se saisir des questions de qualification soumises à son appréciation pour délivrer sa position sur ce point.

Toutefois, même s’il ne présente pas la portée que l’on aurait pu espérer, l’arrêt rendu par la Cour de cassation comporte d’intéressants enseignements.

Les critères d’identification d’un choix de loi tacite par les parties à un contrat international sont ainsi précisés. La Cour valide notamment la prise en compte d’une clause de choix de la loi française dans des conditions générales de vente, ayant la nature de contrats d’application, pour en déduire l’application du droit français au contrat-cadre de distribution conclu entre les parties. La possibilité d’identifier un choix de loi tacite pour un contrat-cadre à partir des dispositions d’un contrat d’application est pourtant critiquée par la doctrine, qui fait notamment valoir la différence de nature juridique entre le contrat-cadre de distribution et ses contrats d’application, constitutifs de simples contrats de vente de biens ou de services.

En outre, la Cour de cassation valide l’identification du choix de loi tacite, s’agissant de la relation susceptible d’être qualifiée de contrat de distribution, au seul visa du Règlement Rome I, sans viser le Règlement Rome II comme l’avait pourtant fait la Cour d’appel de Paris, ce qui confirme l’alignement de la jurisprudence de la haute juridiction sur la décision Granarolo de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 juillet 2016, C-196/15, Granarolo et Cass. Com., 20 septembre 2017, n°16-14812).

 

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