18 janvier 2021
La loi Pacte a étendu le champ d’action judiciaire de l’AMF permettant de solliciter l’interdiction d’accès aux sites proposant des placements financiers de biens divers non autorisés (article L. 621-13-5 du CMF).
L’AMF a fait usage pour la première fois de cette extension. Ainsi, à la demande du régulateur, le Président du Tribunal Judiciaire de Paris, par ordonnance du 26 octobre 2020, a ordonné la fermeture de 6 adresses internet relatives à 3 sites proposant illégalement des investissements en biens divers.
Cette fermeture faisait suite à une mise en demeure infructueuse d’avoir à respecter les interdictions en cause.
L’AMF renforce ainsi son contrôle sur la commercialisation des biens divers, qui, aujourd’hui, recouvrent des catégories extrêmement variées de produits (œuvres d’art, diamants, forêts, vins, cheptels, champagne, whisky, conteneurs…).
La commercialisation de ces biens divers ne peut pas être réalisée sans l’autorisation préalable de l’AMF et de l’enregistrement du document d’information à destination des investisseurs.
L’AMF a donc pu à nouveau, en fin d’année 2020, mettre à jour sa liste noire des sites ou acteurs non autorisés qui proposent des investissements dans des biens divers.
Cette liste « noire » de sites proposant des biens divers n’a pas encore donné lieu à des ripostes judiciaires de l’AMF, mais des mises en demeure d’avoir à cesser la commercialisation et de se conformer aux obligations légales et règlementaires applicables sont à attendre.
L’AMF publie sur son site internet une note rapide de présentation du fonctionnement des investissements de défiscalisation reposant sur la loi Girardin, dit « Girardin Industriel » et « Girardin Social ».
Ces produits sont bien connus de nombreux conseils en gestion de patrimoine et ont connu un grand succès auprès du public, ce qui a malheureusement donné lieu à des affaires judiciaires sur fond d’escroquerie et de détournement de fonds.
Il est intéressant de relever deux points dans la présentation faite par l’AMF de ce dispositif :
L’AMF ne le dit pas clairement, mais laisse sous-entendre que la commercialisation des produits en défiscalisation Girardin comporterait la qualification du statut de CIF, avec l’ensemble des obligations applicables tirées du Code monétaire et financier et du Règlement Général de l’AMF.
L’AMF se contente en effet de mentionner le « risque fiscal » entendu comme le risque de redressement, qui serait possible :
N’est donc pas mentionné le principal risque tiré des investissements en Girardin Industriel, à savoir le risque de requalification par l’administration fiscale entrainant le redressement, risque qui est pourtant très souvent à l’origine du contentieux civil qui concerne les intermédiaires CGP et CIF ayant commercialisé les produits en cause.
L’AMF relève que celui-ci proposait sur son site internet des formations payantes dans le domaine de la finance, au terme desquelles les clients étaient dirigés vers des courtiers en ligne leur proposant d’investir dans des opérations diverses.
L’AMF relève qu’une fois inscrits sur ces plateformes, les investisseurs réalisaient des opérations vers des produits financiers très spéculatifs selon des recommandations fournies aux termes des « formations » reçues par l’entrepreneur.
A la suite de pertes conséquentes sur ces plateformes, l’AMF est intervenue pour contrôler les activités de l’homme d’affaires et de ses sociétés impliquées dans le montage. Il en est résulté que celles-ci exerçaient, selon l’AMF, une prestation de service d’investissement de gestion de portefeuille pour compte de tiers et/ou du conseil en investissements financiers pour lesquels ni l’entrepreneur ni son équipe, ni ses sociétés disposaient des autorisations réglementaires applicable.
L’AMF renforce donc les exigences dans l’appréciation de la notion de service de gestion de portefeuille pour compte de tiers, l’étendant, au cas présent, à des formations payantes donnant lieu à une mise en relation avec des courtiers chargés d’orienter les investisseurs sur tel ou tel investissements. La qualification de service de gestion de portefeuille est surprenante en l’espèce dans la mesure où l’objectif de la formation litigieuse était précisément celui de former les investisseurs afin de leur permettre d’arbitrer seuls sur les choix d’investissements possibles.
Aux termes d’une nouvelle instruction DOC-2020-04, l’AMF ajoute de nouvelles exigences pour les associations professionnelles de CIF.
L’AMF rappelle l’exigence de désigner un responsable des échanges d’informations couvertes par le secret professionnel, en application de l’article 325-27 RGAMF, qui impose aux associations professionnelles de CIF de nommer un responsable du secret professionnel couvrant l’ensemble des échanges et activités des responsables, administrateurs, salariés et préposés des associations professionnelles de CIF dans le cadre de leurs relations avec leurs membres.
On rappellera que ce secret ne peut être opposé ni à l’AMF, ni à l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure pénale un d’une procédure de liquidation judiciaire.
Selon l’instruction susvisée, l’AMF recommande donc que le responsable « secret professionnel » n’exerce pas d’activités dans le secteur financier en dehors de ses fonctions au sein de l’association professionnelle de CIF, qu’il soit mis à disposition ou salarié, et qu’il dispose d’une formation et/ou d’une expérience adaptée à sa fonction.
Aux termes de la même instruction, l’AMF rappelle également que l’association professionnelle est tenue d’informer l’AMF des modifications portant sur les éléments caractéristiques de son dossier d’agrément, concernant notamment la direction, l’organisation et le contrôle. Il s’agit essentiellement des modifications mineures à l’instar de la dénomination, de la raison sociale ou de l’adresse de l’association, des modifications statutaires, des désignations des représentants légaux, ainsi que de leur répartition des pouvoirs.
D’autres modifications du dossier d’agrément ou certaines décisions importantes sont quant à elles soumises à l’approbation préalable de l’AMF. Il s’agit des « modifications significatives » du dossier d’agrément (l’AMF en donne une liste assez exhaustive), ou des modifications du code de bonne conduite, ainsi que de la nomination d’un nouveau responsable des échanges d’informations couvertes par le secret professionnel avec l’AMF.
L’AMF rappelle également l’importance pour les associations professionnelles de CIF de mettre à la disposition de leurs membres des formations utiles à maintenir à jour leur niveau de connaissances.
L’arrêté du 10 novembre 2020, publié au Journal officiel du 25 novembre 2020, modifie le livre III du règlement général de l’AMF.
Ces modifications visent notamment à finaliser la transposition de la directive (UE) 2018/843 du 30 mai 2018 (« 5e directive anti-blanchiment ») issue de l’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 et des décrets n° 2020-118 et n° 2020-119 du 12 février 2020 et à étendre le délai de certification par l’AMF des organismes organisant l’examen de vérification des connaissances professionnelles, en application du décret n° 2020-1148 du 17 septembre 2020, porté de deux à quatre mois.
En particulier, concernant les CIF, ces modifications entrainent l’obligation pour ces derniers de se conformer aux article 321-141 à 321-150 du RGAMF et donc de :
L’AMF reprochait à un CIF d’avoir commercialisé en France, sans y être autorisé deux compartiments d’une SICAV luxembourgeoise, et ce en connaissance de cause, ainsi que d’avoir présenté des informations inexactes et trompeuses relatives aux actions de deux sociétés cinématographiques françaises.
Sur ce dernier point, l’AMF relevait que le manquement était caractérisé en ce que le CIF avait pu proposer à ses clients la souscription des titres des sociétés sans attirer l’attention sur « l’intégralité des risques », en particulier la capacité des deux sociétés de faire face à l’engagement de rachat des actions et en présentant les avantages et les risques de façon déséquilibrée au travers des brochures commerciales.
Il est important de relever que le CIF en question avait pourtant établi une lettre de mission, un rapport écrit et un questionnaire de connaissance, sans que ces éléments aient suffi à convaincre l’AMF de l’absence de manquement au RGAMF.
Enfin, l’AMF reprochait à ce CIF des lacunes au titre du dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Les explications du CIF ont été jugées insuffisantes. Celui-ci mettait en évidence le fait qu’aucun client n’avait jamais formulé de réclamation à son égard, et faisait valoir que la commercialisation des actions de SICAV avait été autorisée pour les investisseurs professionnels.
Sur l’information sur les risques, le CIF rappelait pourtant avoir indiqué dans son rapport écrit que le risque était de « 7 sur 7 » et que les clients, qui avaient tous fait l’objet d’un suivi particulier lors d’entretiens physiques, était des investisseurs avertis, prenant conscience des conséquences de leur investissement.
Quant à la violation des règles sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, le CIF indiquait avoir mis spontanément à jour sa procédure, avoir formé son personnel et que les éléments non collectés auprès d’un client au moment de l’entrée en relation (sur le fondement duquel l’AMF fondait son grief) avaient été récoltés en cours d’investissement.
Surtout, aucune déclaration de soupçon n’avait lieu d’être réalisée auprès de la cellule TRACFIN.
Le CIF et l’AMF conviennent cependant de mettre un terme à la procédure moyennant le versement d’une amende de 90.000 euros et la mise en œuvre d’une procédure en interne visant à encadrer l’information délivrée aux investisseurs, ainsi qu’à remettre à ces derniers une déclaration d’adéquation justifiant les recommandations ainsi que les risques qu’elles comportent à l’occasion des conseils en investissements délivrés.
Notre avis : cet accord de composition administrative met en lumière la sévérité toujours plus grande de l’AMF dans le contrôle des obligations s’imposant aux CIF et à leur interprétation. Fait marquant dans cette affaire, aucun investisseur ne s’était plaint d’un manquement quelconque de la part du CIF. L’AMF semble ainsi se contenter d’une appréciation théorique de ses propres règles. Cela ne pourra qu’inciter les CIF à formaliser le plus grand nombre de possible de réserves par écrit, au sein de la déclaration d’adéquation, quitte à fournir, oralement, un conseil plus mitigé et plus adapté aux intentions de l’investisseur.
Il était reproché à un CIF d’avoir commercialisé des produits d’investissements divers : des plantations d’arbres en Malaisie (produit dit « APC »), des fûts de vinaigre balsamique (produit dit « Balsamico ») ainsi que des parts de société en commandité par action (produit dit « Parts CTI 9D ») ainsi que des parts d’une SARL allemande agissant comme fiduciaire intermédiaire et des actions d’un commandité par actions (produit dit « Actions Viagetic »).
L’AMF considère que le CIF ne disposait pas des autorisations nécessaires pour commercialiser ces produits, qu’elle qualifiait de biens divers.
Plus précisément, la Commission des Sanctions motive de façon détaillée la qualification de biens divers qu’elle donne aux divers produits en cause.
En premier lieu, elle rappelle les deux grandes catégories de biens divers, ceux qui consistent en «
des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers lorsque les acquéreurs n'en assurent pas eux-mêmes la gestion » (qu’elle qualifie de « biens divers I ») et ceux qui consistent en « des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibilité d'un rendement financier direct ou indirect ou ayant un effet économique similaire » (qu’elle qualifie de « biens divers II »).
Pour l’AMF, le produit APC constitue un bien divers I car les investisseurs achetaient bien des arbres dont ils conféraient la gestion à un tiers aux termes d’un contrat de gestion. Le produit Balsamico, quant à lui, est qualifié de biens divers II en raison du fait que les fûts de vinaigre avaient bien un rendement garanti d’avance, aux termes de la proposition contractuelle fournie aux investisseurs.
En conséquence, l’AMF relève que ces deux produits auraient dû faire l’objet d’un enregistrement préalablement à leur commercialisation.
Concernant les Parts CTI 9D et les Actions Viagetic, l’AMF considère que ces produits relèvent de la catégorie des Fonds d’Investissement Alternatifs (FIA), les deux entités en cause étant bien des organismes de placements collectifs qui lèvent des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs, conformément à une politique d’investissement définie. En conséquence, il aurait également fallu, dans ce cas, un enregistrement ou une autorisation de l’AMF préalable à la commercialisation des Parts CTI 9D et des Actions Viagetic, conformément aux dispositions applicables du code monétaire et financier et du RGMAF.
Il est intéressant de noter que l’AFM considère dans cette affaire que les griefs étaient reprochés aux CIF en sa qualité de « CIF », qui résultait « de son inscription à l’Orias et de son adhésion à l’Anacofi-CIF ».
L’AMF semble ainsi avoir une interprétation très stricte de la qualification de CIF, qui dépendrait ainsi non pas de la nature du produit commercialisé (on sait que, par exemple, la commercialisation de parts sociales est exclue par l’AMF comme étant un bien divers) mais d’éléments objectifs (comme l’inscription à une association professionnelle).
De ce constat, la Commission des Sanctions retient que le fait d’avoir commercialisé un produit non autorisé en France constitue, en plus d’un manquement per se, un manquement à l’obligation d’agir avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent au mieux pour les intérêts des clients. A cela s’ajoute de façon inexorable le manquement retenu à raison de l’absence de remise d’une lettre de mission et d’un rapport écrit sur les risques.
L’AMF conclue en considérant que l’ensemble de ces manquements est par ailleurs imputable au dirigeant personne physique.
Elle condamne donc le CIF et son dirigeant à une sanction de 10.000 euros chacun ainsi qu’à la publication de la décision de manière non anonyme pour une durée de 5 ans.
Notre avis : On sait que la catégorie de produits dit « biens divers » peut être souvent sujette à discussion ; cette décision démontre que l’étendue de la catégorie est particulièrement grande et nombre de produits d’investissement peuvent y figurer, entrainant ainsi l’obligation de se conformer aux obligations de CIF.
par Philippe Glaser et Yagmur Ozdilekcan
par Philippe Glaser et Marie Chereau