Auteur

Sophie Pignon

Associé

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3 décembre 2020

Coup de chaud sur la filière photovoltaïque !

  • In-depth analysis

Comme si la rentrée 2020 n’avait pas été suffisamment tumultueuse, le Ministère de la Transition Ecologique a décidé de bousculer la filière photovoltaïque, pourtant en pleine croissance dans cette tempête.

C’est ainsi que début septembre par voie de presse, le Gouvernement annonçait vouloir déposer dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2021, un amendement visant à réduire les tarifs d’achat fixés par les contrats d’obligation d’achat d’électricité conclus entre 2006 et 2010, pour les installations photovoltaïques ou thermodynamiques d’une puissance crête de plus de 250 kW.

Cette annonce a créé une onde de choc dans la filière photovoltaïque tant par le caractère soudain que brutal de la mesure annoncée, qui ne concernerait selon le Gouvernement « que » 800 contrats d’achat sur 230 000 signés entre 2006 et 2011.

L’amendement n°II-3369 a été déposé par le Gouvernement le 7 novembre 2020 puis adopté par l’Assemblée Nationale lors de la séance du 13 novembre dernier, en première lecture.

L’amendement décrié inscrivait dans le projet de loi de finances 2021 le principe d’une diminution du tarif d’achat de l’électricité produite par les installations susvisées pour les contrats d’achat conclus en application des arrêtés du 10 juillet 2006, du 12 janvier 2010 et du 31 août 2010 .

Le Gouvernement justifiait cet amendement par la nécessité de ramener la rentabilité de ces contrats d’achat – jugée aujourd’hui excessive – à un niveau correspondant à une « rémunération raisonnable des capitaux ». Celui-ci invoquait également au soutien de cette révision, le coût substantiel que représente le soutien public de ces contrats sur les finances publiques, soit environ deux milliards d’euros par an, toujours selon le Gouvernement.

Le 27 novembre dernier, le Sénat a rejeté à l’unanimité le principe de cette révision, en adoptant un amendement n°II-28 qui supprime l’amendement gouvernemental n°II-3369 du projet de loi de finance 2021. Pour les sénateurs, il s’agit d’une décision « lourde de conséquences » dont ils regrettent qu’elle n’ait été précédée d’une étude d’impact leur permettant d’en peser les avantages et les inconvénients.

Ce refus est une véritable victoire pour les acteurs de la filière qui n’ont cessé d’appeler le gouvernement et les parlementaires à revenir à la raison.

Ce rebondissement sénatorial est l’occasion de revenir sur le feuilleton de la rentrée, étant précisé que ce n’est pas nécessairement le dernier épisode car une commission mixte paritaire pourrait être convoquée.

Une rémunération excessive

Pour bien comprendre, le mécanisme de l’obligation d’achat a été instauré par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité et plus précisément son article 10 qui impose à la société Electricité de France de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite sur le territoire national par des installations qui utilisent des énergies renouvelables, dès lors que le producteur lui en fait la demande.

Ce mécanisme, désormais codifié aux articles L. 314-1 et suivants du Code de l’énergie, s’articulait autour du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 fixant par catégorie d'installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l'obligation d'achat d'électricité. Pour chaque filière, les conditions d’achat étaient ensuite définies par arrêté du ministre en charge de l’énergie, fixant le niveau du tarif d’achat du kilowattheure d’électricité produite par les installations concernées.

Pour les installations utilisant l’énergie radiative du soleil d’une puissance supérieure à 250 kilowatts crête, les tarifs d’achat ont été successivement déterminé par les trois arrêtés susvisés de 2006 et 2010.

Aujourd’hui le constat est le suivant : la filière a connu une baisse des coûts d’investissement plus rapide que celle initialement anticipée par le Gouvernement lorsque le mécanisme de soutien a été mis en place, qui a conduit à une rentabilité considérée aujourd’hui par le Gouvernement comme hors de proportion par rapport à une rémunération « normale » des capitaux investis. Le Gouvernement met en avant l’impérative nécessité de préserver les ressources publiques utilisées pour honorer les contrats en cause, au bénéfice du développement d’autres énergies renouvelables non encore compétitives.

Cette position du Gouvernement fut vivement critiquée par les acteurs de la filière photovoltaïque qui n’ont eu de cesse que de dénoncer une « remise en cause unilatérale et rétroactive inacceptable » de contrats conclus depuis plusieurs années et au titre desquels des producteurs « pionniers » ont investi dans des projets à des coûts bien supérieurs à ceux constatés aujourd’hui.

Les craintes des acteurs de la filière furent palpables : les potentiels nouveaux investisseurs ou financeurs vont, ou ont prévu de, geler les opérations d’investissements ou de refinancements de portefeuilles incluant des centrales photovoltaïques concernées par la révision gouvernementale tant que cette situation n’est pas éclaircie.

Une révision pour l’avenir et au cas par cas des tarifs d’achat

L’amendement tel qu’il a été adopté par l’Assemblée Nationale en première lecture consistait en une révision à la baisse des tarifs d’achat des contrats conclus sur le fondement des trois arrêtés tarifaires précités de 2006 et 2010. Cette baisse est supposée intervenir pour « l’avenir ». Il n’est a priori pas question d’un éventuel remboursement des aides perçues jusqu’alors. On ne peut dès lors parler de rétroactivité qu’en considération du droit « acquis » des signataires de ces contrats d’achats de bénéficier de tarifs garantis sur vingt ans.

La mise en œuvre de ce nouveau dispositif dépendait ensuite de l’adoption d’un décret en Conseil d’Etat précisant ses modalités d’application ainsi que l’entrée en vigueur d’un nouvel arrêté tarifaire pris par les ministres en charge de l’énergie et du budget qui fixera pour une date déterminée le nouveau tarif applicable. L’application de ce nouveau tarif devait être précédée d’un examen au cas par cas, en fonction des caractéristiques techniques de l’installation, de sa localisation, de sa date de mise en service et de ses conditions de fonctionnement. Ce nouveau tarif devait viser une rémunération « raisonnable des capitaux compte tenu des risques inhérents à son exploitation », sans qu’au demeurant cette notion n’ait été définie par le Gouvernement.

L’amendement introduisait également une clause dite « de sauvegarde » au bénéfice des producteurs susceptibles de voir leur viabilité économique compromise par le dispositif, sous réserve pour ces derniers d’avoir mis en œuvre toutes les mesures de redressement à leur disposition ou d’avoir bénéficier de toutes les mesures de soutien à disposition de leurs actionnaires. Si ces conditions avaient été réunies, un tarif adapté voire un allongement de la durée du contrat d’achat concerné aurait alors pu être appliqué, sur demande motivée du producteur et après un examen une fois encore au cas par cas. Il est incontestable que le bénéfice de cette dérogation demeurait très encadré et qu’en tout état de cause, la charge de la preuve pesait sur le producteur qui devait justifier de sa situation auprès d’EDF OA.

Le flou juridique entourant les critères sur la base desquels devait être appréciée la réduction des tarifs n’a fait qu’accroître les contestations des acteurs de la filière qui craignaient qu’une telle renégociation avec EDF OA (cocontractant direct des producteurs) soit en pratique très difficile à mettre en place voire impossible eu égard au nombre très importants de contrats concernés à renégocier et des situations différentes de chacun des projets.

Une pratique déjà observée par le passé

Cette pratique de l’Etat de modifier, unilatéralement, une réglementation aux dépens de droits acquis n’est pas inédite : il faut se souvenir des discussions autour des tarifs autoroutiers de 2015 ainsi que de celles sur les tarifs d’achat de l’énergie produite par la filière éolienne offshore.

En 2015, et dans le prolongement d’autres mesures de révision des clauses financières des concessions autoroutières, le Gouvernement avait annoncé (sans consultation préalable des acteurs de la filière) le gel de l’augmentation annuelle des tarifs autoroutiers, augmentation pourtant prévue dans les contrats de concession autoroutiers. Cette affaire s’est conclue par la signature entre l’Etat et les sociétés concessionnaires d’autoroutes d’un protocole d’accord visant à rééquilibrer les relations entre ces deux parties.

Il faut toutefois souligner ici que l’Etat agissait en tant qu’autorité concédante, donc cocontractant direct des concessionnaires autoroutiers. Une telle position, qui n’est pas aussi évidente au cas présent (le cocontractant direct des producteurs dans les contrats d’achat étant EDF OA), a placé le débat dans un cadre contractuel, ce qui a probablement facilité le levier de discussions au profit des sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Également, en 2018, le Gouvernement demandait aux lauréats des appels d’offres d’éolien en mer de revoir à la baisse les tarifs négociés en 2012 et 2014, ce dernier anticipant là encore le risque d’une rémunération excessive au regard de la baisse des coûts observés dans cette filière. Le Gouvernement a alors invité les lauréats à entrer en négociation et présenter leurs propositions en ce sens. A défaut d’accord, le Gouvernement projetait de remettre en cause (rétroactivement donc) lesdits projets légalement attribués dans le cadre des appels d’offres. Les négociations ont finalement abouti à une solution relativement équilibrée entre les parties au titre de laquelle les tarifs ont effectivement été revus à la baisse par les lauréats.

Ici encore, le débat a trouvé une issue par le biais de la négociation et d’un accord entre l’Etat et les parties concernées. Autre nuance non négligeable dans cette affaire, les contrats d’achat entre EDF et les producteurs lauréats n’avaient pas encore été signés, seuls les tarifs d’achats avaient été sécurisés.

Les contrats d’achat solaire, un contexte inédit

Il faut se rappeler qu’en 2010, les mêmes contrats qui ont été sur le point d’être renégociés ont déjà fait l’objet d’un moratoire, fortement décrié par les acteurs de la filière mais néanmoins validé par le Conseil d’Etat.

Pour rappel, le dispositif de soutien mis en place par le décret du 6 décembre 2000 et ses arrêtés tarifaires s’est rapidement révélé être trop fort par rapport à la baisse des coûts observés sur le marché de la filière photovoltaïque. Pour contenir la hausse des demandes de contrats d’achat qui s’en est suivie et précisément éviter de faire peser sur les finances publiques un dispositif de soutien plus couteux qu’initialement prévu, le Gouvernement a instauré par décret un moratoire suspendant l’obligation d’EDF de conclure un contrat d’achat d’électricité solaire pendant 3 mois, et ce aux dépens de tous les producteurs bénéficiant d’ores et déjà, au moment de l’entrée en vigueur dudit décret, d’un droit à conclure un contrat d’achat avec EDF conformément à la réglementation alors applicable et dont les demandes étaient en cours d’instruction .

Pour justifier un tel moratoire, le Gouvernement s’est appuyé sur l’article 10 de la loi du 10 février 2000 qui prévoit que l'obligation de conclure un contrat d'achat peut être partiellement ou totalement suspendue par décret, pour une durée qui ne peut excéder dix ans, si cette obligation ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements, sous réserve du maintien des contrats en cours.

Aujourd’hui, les mêmes questions que celles qui se sont posées dans le cadre du contentieux lié au moratoire sont apparues dans les débats, notamment quant au respect par le Gouvernement du principe de « confiance légitime » et de « stabilité juridique » que sont en droit d’exiger les cocontractants de l’Etat (même indirects). De même et comme le rappelle le Sénat, une révision des tarifs d’achat pénaliserait surtout en réalité les propriétaires actuels des centrales concernées, qui les ont souvent acquis auprès des investisseurs initiaux à un prix fondé sur la prévision de chiffre d’affaires provenant de ces contrats d’achat et de leur durée de 20 ans.

Si le rejet des sénateurs éloigne l’hypothèse d’un contentieux et par la même toute tentative d’analyse juridique d’une telle révision, il est néanmoins possible de s’interroger sur le fondement légal de cette révision qui aurait pu se heurter à la réserve de l’article 10 précitée (« sous réserve du maintien des contrats en cours » - aujourd’hui codifiée à l’article L. 314-6 du Code de l’énergie).

En tout état de cause, la position du Sénat n’élude pas l’illégalité connue de ces contrats et tirée de ce que les trois arrêtés de 2006 et de 2010 sont constitutifs d’une aide d’Etat non notifiée à la Commission européenne, qui demeure un obstacle majeur à toutes actions contentieuses dans ce cadre.

« Que vaudra la parole de l’État après un tel coup de force ? »

C’est en ces termes que s’exprimait déjà les parlementaires lors des débats à l’Assemblée Nationale sur l’amendement n°II-3369 pour dénoncer le coup que risque de porter une telle révision sur la sécurité des contrats d’achat d’électricité, décidée sans concertation avec les professionnels du secteur.

Les sénateurs évoquent eux une atteinte durable à la signature de l’Etat pour justifier leurs refus de l’amendement.

En effet, cette nouvelle tentative d’intervention gouvernementale s’ajoute à la désormais longue liste des revirements de l’Etat dans la réglementation applicable aux énergies renouvelables et qui ne font qu’aggraver l’instabilité juridique dont souffre cette filière dans sa globalité.

Qu’il s’agisse d’actif public (comme les autoroutes) ou d’aides publiques (comme les tarifs d’achat d’électricité), la solidité des engagements de l’Etat et par ricochet la stabilité des relations contractuelles sont essentielles pour sécuriser et pérenniser les investissements nécessaires dans ces projets. Or, en plus de fragiliser une filière, ce type de revirement gouvernemental envoie également un mauvais signal pour les filières en développement telles que la filière hydrogène (dont le développement est par ailleurs fortement dépendant de la filière électrique) et pour laquelle les investissements futurs seront déterminants.

Ce point de vue semble partagé par les sénateurs qui concluent au rejet de l’amendement en déclarant qu’un tel revirement serait susceptible de « fortement nuire à l’attractivité du secteur des énergies renouvelables français auprès des investisseurs et des prêteurs, français comme étrangers et, ce faisant, de nuire à la transition énergétique que le Gouvernement prétend accélérer ».

Désormais et conformément à la procédure législative d’un projet de loi de finance, seule la convocation d’une commission mixte paritaire pourrait assombrir cette éclaircie sénatoriale sur la filière photovoltaïque.

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