Auteur

Sophie Pignon

Associé

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22 octobre 2020

Hydrogène : la France à la recherche de la bonne formule

  • In-depth analysis

L’hydrogène décarboné, levier de la relance économique

Au cœur de l’actualité, l’hydrogène dit décarboné est présenté aujourd’hui comme un levier essentiel de la relance en France : « La France a la conviction que l’hydrogène décarboné sera l’une des grandes révolutions de notre siècle » . C’est ainsi que le Gouvernement introduisait, le 8 septembre dernier, sa nouvelle stratégie « France Hydrogène », promettant des investissements à hauteur 7 milliards d’euros dans la filière dont 2 milliards d’euros à court terme dans le cadre de la mise en œuvre du récent plan de relance pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

Cette nouvelle stratégie nationale s’articule autour de trois axes prioritaires : la décarbonation de l’industrie comme un vecteur vers la neutralité carbone d’ici 2050, le développement des mobilités lourdes à l’hydrogène ainsi que le soutien de la recherche, de l’innovation et le développement de compétences par l’offre de formation.

Rappelons que le principe de neutralité carbone d’ici 2050 a été introduit à l’article L. 100-4 du Code de l’énergie par la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat (dite loi « Energie Climat ») . Cet article, qui définit les objectifs de la politique énergétique nationale pour répondre « à l'urgence écologique et climatique », a en outre été complété d’un dernier objectif, celui de « développer l'hydrogène bas-carbone et renouvelable (dit « décarboné ») et ses usages industriels, énergétiques et pour la mobilité, avec la perspective d'atteindre environ 20 à 40 % des consommations totales d'hydrogène et d'hydrogène industriel à l'horizon 2030 ».

Preuve de la volonté forte du gouvernement d’élever l’hydrogène au rang des priorités nationales, cet objectif de décarbonation de la production de l’hydrogène a récemment été intégré dans la « Programmation pluriannuelle de l’énergie » (PPE) qui s’attache à définir les orientations publiques de la France en matière énergique sur la période 2019-2028 pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre . La PPE fixe ainsi l’objectif d’un taux d'hydrogène dit décarboné dans l'hydrogène industriel à hauteur de 10% à l’horizon 2023 et compris entre 20 et 40% à l’horizon 2030.

La neutralité carbone par la décarbonation de l’hydrogène dans ses applications industrielles

Dans un contexte actuel où les usages du secteur industriel sont encore très largement carbonés – parce qu’utilisant des ressources d’origines fossiles – la valorisation et le développement de la production d’hydrogène bas carbone (dit « hydrogène bleu ») ou décarboné (dit « hydrogène vert » ou « renouvelable ») dans ce secteur offrent une solution de réduction significative des émissions industrielles.

Pour bien comprendre, il faut d’abord rappeler que l’hydrogène n’est pas une énergie directement disponible mais un « vecteur énergétique » produit à partir d’une autre source (comme c’est également le cas pour l’électricité).

Aujourd’hui, l’hydrogène est massivement utilisé dans le secteur de l’industrie (principalement dans les industries de raffinage de carburant et de chimie pour la production d’ammoniac et de méthanol).

Cependant, il s’agit d’un hydrogène dit carboné ou « gris » car produit à partir de combustibles fossiles tels que le gaz, le charbon ou le pétrole : sa production est donc fortement émettrice de gaz à effet de serre. Ainsi, lorsqu’on parle de décarbonation de l’industrie, il ne s’agit pas de substituer un usage par un autre « plus propre », mais bien de « verdir » un usage d’ores et déjà existant parmi les usages industriels. L’objectif est donc de remplacer, en amont, les procédés de production d’hydrogène à partir de combustibles fossiles, par des procédés de production utilisant des sources d’énergie décarbonées (par exemple telles que le nucléaire pour l’hydrogène dit « bleu » ou les énergies renouvelables pour l’hydrogène dit « vert » ou « renouvelable »), en vue de garantir des usages industriels existants sensiblement moins émetteurs de CO2.

Le pari français de l’électrolyse

Parmi les différentes technologies existantes pour la production d’un hydrogène « vert » (donc 100% d’origine renouvelable), la France a fait le pari de s’orienter vers l’électrolyse. Cette technologie utilisant l’eau permet de produire de l’hydrogène en dissociant, par un courant électrique, la molécule d’eau en dioxygène et dihydrogène, de sorte à récupérer l’hydrogène.

Rappelons que la préférence française pour la décarbonation de la production d’hydrogène par électrolyse n’est pas nouvelle et se s'inscrivait d’ores et déjà au cœur du précédent plan national pour l’hydrogène mis en place en juin 2018 sous l’impulsion de l’ancien Ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot . Déjà en 2018, la stratégie nationale souhaitée par le Gouvernement se structurait autour des trois lignes directrices qu’étaient le développement de la production de l’hydrogène par électrolyse dans le secteur de l’industrie, la valorisation de la mobilité propre et l’usage de l’hydrogène vert comme élément de stabilisation des réseaux énergétiques existants.

Dans le cadre de sa stratégie « France Hydrogène », le Gouvernement ambitionne aujourd'hui de faire émerger une filière française de l’électrolyse en misant sur un déploiement à grande échelle d’électrolyseurs sur le territoire. Elle s’est ainsi fixée un objectif à hauteur de 6,5 GW d’électrolyseurs installés en 2030.

Pour atteindre ces objectifs, le Gouvernement s’appuie notamment sur le lancement de plusieurs appels à projet (principalement par l’ADEME ou par l’Agence Nationale de la Recherche - certains étant actuellement en cours), dont le but est de soutenir la recherche et développement sur cette technologie non encore mature et de favoriser la concrétisation de projets expérimentaux à grande échelle. A cet égard, la France a d’ores et déjà prévu d’investir 1,5 milliards d’euros dès 2021 dans le cadre de la construction d’un Projet Important d’Intérêt Européen Commun (PIIECI) sur l’hydrogène dont la finalité serait de faire émerger des projets de « gigafactory » d’électrolyseurs.

La volonté affichée du Gouvernement est de pouvoir réaliser des économies d’échelle sur cette technologie non encore compétitive, dont les coûts d’investissement associés demeurent très élevés en comparaison à d’autres solutions énergétiques « moins propres » (et en particulier l’hydrogène produit par vaporeformage, aujourd’hui très présent dans les usages industriels).

Néanmoins les experts du secteur s’accordent à considérer que si, d’un point de vue purement économique, l’effet volume généré par le déploiement massif d’électrolyseurs devrait en effet favoriser la baisse des coûts d’infrastructures (notamment le coût d’installation des électrolyseurs), cette baisse ne suffira très probablement pas à rendre l’hydrogène bas carbone suffisamment compétitif pour inciter à l’investissement , en particulier en l’absence d’un signal fort de prix du CO2.

Le développement de la décarbonation de la production d’hydrogène ne pourra donc vraisemblablement aboutir pas à l’émergence d’une filière compétitive sans mécanisme de soutien public.

Vers un mécanisme de soutien par complément de rémunération dès 2022 ?

Conscient de la nécessité d’apporter un soutien public au développement de cette filière (comme ce fut le cas pour le développement des énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire), le Gouvernement s’est d’ores et déjà engagé dans le cadre de sa stratégie « France Hydrogène » à élaborer un dispositif de soutien de type « complément de rémunération » en faveur de la décarbonation de la production d’hydrogène, à l’horizon 2022.

Un projet d’ordonnance,  en cours de préparation par le Gouvernement, semble orienter le mécanisme de soutien vers un dispositif de complément de rémunération après sélection par appel d’offres pour les projets considérés, sur un modèle inspiré de celui existant pour l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables, telles que les filières éoliennes et solaires,  sans qu’il soit possible, aujourd’hui, de confirmer si ce dispositif sera identique à celui en vigueur pour les énergies renouvelables. A ce stade d’ailleurs, le projet d’ordonnance n’exclut pas, pour les lauréats de ces appel d’offres, la possibilité de bénéficier, outre d’un contrat de complément de rémunération, d’un dispositif de soutien alternatif consistant en une aide financière à l’investissement voire d’une combinaison de ces deux dispositifs.

Si le principe (bienvenu) d’un soutien public au développement de la décarbonation de la production d’hydrogène semble a priori confirmé, le dimensionnement futur de ces mécanismes de soutien pose question tant par le manque actuel de visibilité sur les coûts liés au développement de cette filière et en particulier les coûts d’exploitation associés à la production de cette énergie, que par les caractéristiques de ce futur marché à construire.

Nous l’avons vu, la décarbonation de la production d’hydrogène par électrolyse suppose un approvisionnement en électricité substantiel. En France, cet approvisionnement peut être satisfait de deux manières :

  • soit en s’approvisionnement sur le marché de gros de l’électricité (ou éventuellement directement auprès d’un exploitant producteur d’électricité d’origine renouvelable) et en soutirant directement sur le réseau électrique le volume d’électricité nécessaire
  • soit par l’intégration à la centrale électrolyse d’une centrale EnR (solaire ou éolienne), sur un modèle d’ « auto-production », sans aucun soutirage de volume d’électricité sur le réseau.

Or, selon le modèle retenu, les composantes du coût de production peuvent sensiblement différer et, par conséquent, faire varier le coût d’investissement d’un modèle à un autre .

En effet, l’approvisionnement de l’électricité par le marché de gros offre un levier sur le prix d’achat de l’électricité en fonction des périodes observées de prix bas ou hauts (dépendant de multiples facteurs liés, par exemple, aux tensions sur le réseau). Un tel schéma pourrait néanmoins supposer de coupler la centrale électrolyse avec une installation de stockage permettant de pallier l’intermittence de la production de l’hydrogène induite par la variabilité des prix sur le marché de gros. Si l’approvisionnement par auto-production permet de neutraliser la dépendance susmentionnée au prix de l’électricité sur le marché de gros, il n’empêche pas la contrainte de variabilité de la production d’électricité liée aux périodes météorologiques (vent, ensoleillement…). En outre, le choix de ce modèle supposera nécessairement un coût d’investissement plus important lié au couplage avec une installation distincte. On pourrait alors imaginer un tel couplage avec des installations existantes (exploitées par des exploitants tiers à la centrale électrolyse), mais se poserait alors la question du cumul des dispositifs de soutien existants (en particulier s’il s’agit d’installations éoliennes et/ou solaires) et des contraintes contractuelles associées des exploitants.

La mise en place d’un système d’appel d’offres permettrait à la méthode et/ou la technologie la plus compétitive de se distinguer des autres (selon une logique du « merit order », appliquée notamment sur le marché boursier de l’électricité). En outre, l’application d’un dispositif de type « complément de rémunération » (a contrario d’un mécanisme de soutien de type tarif d’achat) présente l’avantage de maîtriser le soutien public et d’accompagner progressivement le développement de la filière jusqu’à ce qu’elle ait atteint un certain seuil de maturité. Encore faut-il toutefois que les professionnels du secteur soient en mesure, à ce stade de développement de la filière, de déterminer un « prix » rationnel qui permettrait de couvrir suffisamment les coûts d’investissements et les coûts d’exploitation liés. Les professionnels de la filière semblent aujourd’hui confiant sur leurs capacités à proposer un prix juste, propre à la technologie utilisée et paraissent prêts à participer à des appels d’offres en ce sens.

Il faut garder à l’esprit que le développement d’une filière hydrogène dite « verte » (c’est-à-dire d’origine 100% renouvelable) devra impérativement s’accompagner, dans le cadre des futurs appels d’offres et du dispositif de soutien y afférent, de critères spécifiques permettant de voir émerger des initiatives en ce sens, au détriment d’une production d’hydrogène plus compétitive mais partiellement renouvelable.

Pour mesurer les risques d’un mauvais dimensionnement du dispositif, on peut rappeler l’exemple du photovoltaïque qui a abouti au subventionnement massif d’industriels non-nationaux au détriment des industriels nationaux.

Il faut aussi se souvenir de l’insécurité juridique née de l’instabilité des réglementations précédentes dans le secteur des énergies renouvelables qui a particulièrement affecté le développement des filières éoliennes et photovoltaïques : du moratoire sur les tarifs d’achat de l’électricité issue du photovoltaïque aux imprécises notifications des mécanismes de soutien à la Commission Européenne dans le cadre du régime des aides d’Etat (avec les risques que l’on connait de remboursement de ces aides), en passant par le transfert d’un mécanisme de soutien à un autre, sans oublier les « flous » juridiques créateurs de confusions et de dérives mal maitrisées (on citera, par exemple, les pratiques de « saucissonnage ») ; toutes ces erreurs qu’il a fallu corriger inopinément par arrêtés, décrets ou lois successives…pénalisant d’autant les acteurs de la filière.

Enfin, un autre levier qu’il ne faudra pas négliger est celui de l’initiative publique : la demande publique « verte » contribuera nécessairement à l’impulsion de l’offre hydrogène « renouvelable ». Citons d’abord le dispositif de type « financement participatif », d’ores et déjà prévu dans le projet d’ordonnance, qui permettra aux collectivités publiques de détenir une part du capital des sociétés de projet impliquées dans la production d’hydrogène . Ensuite, il faut espérer que le développement de l’hydrogène « renouvelable » s’accompagne d’un dispositif dédié au sein du Code de la commande publique pour favoriser cet achat public vert (le renouvellement de la flotte automobile publique en faveur de l’hydrogène, par exemple).

En conclusion, la définition d’un dispositif de soutien dimensionné et proportionné au développement de la décarbonation de la production de l’hydrogène est impératif pour accompagner efficacement les initiatives des acteurs de la filière. La période privilégiée d’observation des retours d’expérience des projets actuellement en cours et ceux qui seront lancés d’ici les trois prochaines années doit être mise au service d’une réglementation future dédiée à la décarbonation de la production de l’hydrogène adaptée, stable (car bien anticipée) et incitative au regard de la diversité et des complexités techniques propres au développement de cette filière.

Parce que le développement de la décarbonation de la production de l’hydrogène est tout autant une question de production que de transport, l’autre chantier du Gouvernement sera celui de l’égal accès aux réseaux de transport et de distribution des producteurs d’hydrogène et des infrastructures associées.

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