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31 mars 2020

La force majeure et l’imprévision à l'épreuve du COVID-19

  • IN-DEPTH ANALYSIS

L’épidémie du COVID-19 qui traverse actuellement l’Europe et le monde est un événement sans précédent, qui affecte les acteurs économiques tant par la propagation de la maladie que par les mesures prises par le gouvernement pour endiguer l’épidémie, qui se révèle d’une ampleur inégalée.

Face à une telle pandémie, les questions pratiques relatives à son retentissement sur les relations économiques et commerciales surgissent spontanément.

Comment une entreprise pourra honorer ses commandes, payer ses dettes, réaliser les prestations prévues au contrat alors que ses effectifs sont affectés, ont vu leurs déplacements fortement réduits, et dont certains sont en télétravail voire, dans le pire des cas, atteints par la maladie ? Quelles seront les conséquences sur les contrats en cours, dont l’exécution sera rendue difficile, impossible ou excessivement onéreuse en raison de l’épidémie du Covid-19 ?

Notre droit offre deux instruments bien connus pour permettre aux acteurs économiques de surmonter ces circonstances exceptionnelles : la force majeure et la révision pour imprévision.

Le premier, instrument juridique présent depuis l’antiquité, est généralement connu y compris des profanes du droit comme le moyen permettant de justifier l’inaccomplissement d’une obligation stipulée dans un contrat. L’idée est à tel point commune que l’on se souviendra de l’annonce du ministre de l’Economie Bruno Le Maire, le 28 février 2020, pour qui l’épidémie du COVID-19 est « un cas de force majeure pour les entreprises, les salariés et les employeurs ».

Pourtant, la popularité du concept contraste avec un bilan certain : la force majeure est rarement retenue comme cause exonératrice de responsabilité par les juridictions françaises. Les premières décisions qui commencent tout juste à être rendues sur le sujet invertiront-elles la tendance ?

Le second, nouveauté de notre droit civil datant de la réforme du droit des obligations du 10 février 2016, pourrait permettre aux contrats signés à compter du 1er octobre 2016 de survivre aux difficultés économiques, endémiques ou structurelles, qui seront causées par l’épidémie et par les mesures de restriction prises. Privilégiant d’abord la voie consensuelle, puis, à défaut, la saisine du juge, le contenu du contrat sera adapté aux nouvelles donnes économiques, ou bien résolu. Mais là encore, la nouveauté du concept ne permet pas d’en connaître à l’avance les interprétations qui en seront données par les juridictions et donc, son efficacité.

La force majeure

La doctrine de la Cour de cassation enseignait, jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2016 portant réforme du droit des obligations, que pouvait revêtir le caractère de force majeure tout évènement qui était imprévisible et irrésistible (Cass. Ass. Plén., 14 avril 2006, n°04-18902 et n°02-11168).

Depuis l’ordonnance du 10 février 2016, l’article 1218 du Code civil réinstaure le triptyque des conditions relatives à la force majeure, qui est donc un empêchement d’exécution causé par un « événement échappant au contrôle du débiteur », « raisonnablement imprévisible au moment de la conclusion du contrat » et « dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées ».

En bref, extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité.

Les difficultés de qualification de l’épidémie du Covid-19 en cas de force majeure

La jurisprudence considère sur la base de ces critères que des événements majeurs peuvent recouvrir la qualification de force majeure.

Il en va ainsi des catastrophes naturelles et phénomènes météorologiques.

Ainsi, un ouragan d’une violence exceptionnelle peut constituer un cas de force majeure (Cass. civ. 1ère, 11 mai 1994, Bull. civ. III, n°94), tout comme une éruption volcanique (Cass. civ. 1ère, 8 mars 2012, n°10-25.913).

A l’inverse, une gelée tardive, même classée comme « calamité agricole », n’est pas un événement imprévisible (Cass. Soc. 25 octobre 1995, n°95-40866). De la même manière, la simple constatation administrative de l’état de catastrophe naturelle ne permet pas de déduire que l’événement a le caractère de la force majeure (Cass. civ 3ème, 24 mars 1993, n°91-13.541).

En réalité, la qualification donnée à l’événement importe peu et est insusceptible de caractériser, à elle seule, un cas de force majeure. D’autant qu’un même événement peut dans une hypothèse constituer un cas de force majeure et pas dans d’autres. L’épisode de sécheresse exceptionnelle classée en catastrophe naturelle, la « canicule de 2003 », a pu ainsi constituer un cas de force majeure dans une affaire où la garantie de l’assureur était appelée pour la rénovation d’un immeuble (Cass. civ. 2ème, 29 mars 2018 N° 17-15017) ; pourtant, le même événement n’a pas suffi à exonérer Monsanto de sa responsabilité dans la fourniture d’une variété de tomates résistant aux fortes chaleurs (CA Aix-en-Provence, 22 avril 2015, n° 12/19468).

La question est aussi de savoir si, plus précisément, la maladie générée par le Covid-19 pourra être considérée comme un cas de force majeure. Il est certain que la maladie constitue, en soi, et de jurisprudence constante, un cas d’exonération de responsabilité contractuelle lorsqu’elle affecte le débiteur personnellement tenu à l’obligation en cause (Cass., Ass. Plén., 14 avril 2006, n° 02-11.168 ; Cass. civ. 1ère, 10 févr. 1998, no 96-13.316). Cela est d’autant plus vrai après la réforme du droit des obligations, qui a introduit le critère lié à l’extériorité de l’événement « échappant au contrôle du débiteur ». La maladie est par définition un état pathologique exogène et dont l’évolution n’est pas soumise à sa maitrise. On peut donc considérer que, là où l’exécution d’une obligation sera rendue impossible par un état d’hospitalisation du débiteur lié au Covid-19, la force majeure pourra être invoquée.

Pour autant, peut-on considérer que l’épidémie, avec les conséquences sanitaires et économiques qu’elle comporte, justifie en tant que telle un cas de force majeure général ? Rien n’est moins sûr.

Une étude de la jurisprudence rendue au sujet des épidémies de maladies qui se sont propagées au cours des dernières années tend à considérer qu’aucun courant jurisprudentiel établi ne permettrait de faire du Covid-19 un cas de force majeure per se.

Les juridictions ont en effet pu considérer que l’épidémie de chikungunya ayant sévi sur l’ile de Saint-Barthélemy ne pouvait constituer un cas de force majeure à défaut de caractère irrésistible, « cette maladie étant soulagée par des antalgiques et généralement surmontable » (CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, n°17/00739). Le virus Ebola n’a, lui non plus, pas été qualifié de cas de force majeure susceptible d’exonérer un hôtel du paiement des loyers dû à son bailleur (CA Paris, 29 mars 2016, n°15/05607). Il est vrai que dans ce cas, l’obligation en cause était une obligation de payer une somme d’argent, obligation dont l’inexécution ne peut en aucun cas être justifiée par la survenance d’un cas de force majeure (Cass. com., 16 sept. 2014, n°13-20.306).

Force est alors de constater que le critère de l’imprévisibilité n’est généralement pas retenu concernant des épidémies qui sont bien étudiées et médiatisées à l’échelle mondiale. Cela a ainsi été le cas pour l’épidémie de grippe H1N1, qui n’a pas été qualifiée de cas de force majeure permettant à une société de s’exonérer de ses obligations rendues contraignantes par la réglementation sanitaire mise en œuvre, dès lors que l’épidémie en question avait été, selon les juges « largement annoncée et prévue » (CA Besançon, 8 janv. 2014, n°12/02291). De même, le virus de la dengue étant connu, il n’était pas un « phénomène nouveau » permettant de caractériser un cas de force majeure (CA Nancy, 22 nov. 2010, n°09/0003).

Ces principes jurisprudentiels interrogent donc quant à la possibilité que l’épidémie du Covid-19 soit qualifiée de cas de force majeure. Extérieure, certainement ; imprévisible, la question reste ouverte, compte tenu de sa propagation progressive dans le monde et largement médiatisée ; insurmontable, une appréciation au cas par cas sera nécessaire pour vérifier si l’entreprise en question aura mis en œuvre les moyens nécessaires pour s’adapter et y faire face.

Pourtant, l’ampleur inégalée de la pandémie du Covid-19 pourra infléchir l’appréciation pour l’instant sévère des juridictions françaises. A l’heure où nous écrivons, on notera que la Cour d’appel de Colmar a pu faire de l’épidémie en cours un cas de force majeure, exonérant la présence d’une personne retenue administrativement, celle-ci ne pouvant pas être escortée en raison des risques de contagion et ne pouvant en l’espèce être interrogée par visio-conférence (CA Colmar, 6e ch., 12 mars 2020, n° 20/01098). Le litige ne concernait bien évidemment pas la matière contractuelle, mais les principes de la force majeure ont pourtant été retenus.

Reste qu’il pourrait également être envisagé de démontrer que le cas de force majeure consiste non pas dans l’épidémie du Covid-19 en tant que telle mais plutôt dans les mesures restrictives prises par le gouvernement pour y faire face (restriction des déplacements, fermeture des activités économiques, fermeture des frontières etc).

La catastrophe sanitaire et la maladie du Covid-19 laisseraient alors la place au « fait du prince » résultant des décisions prises par le gouvernement. Avec des résultats plus satisfaisants. On sait en effet que les tribunaux sont davantage enclins à considérer ces événements comme des cas de force majeure. C’est le cas par exemple d’une annulation imprévisible et irrésistible d’un permis de construire par une autorité administration qui a exonéré la société locataire n’ayant pu effectuer les travaux (Cass. civ. 1ère, 29 nov. 1965 : D. 1966, p. 101. – Cass. soc., 19 mai 2010, n° 09-40.901).

Les conséquences de la qualification de cas de force majeure du Covid-19

Le Code civil prévoit expressément, depuis la réforme du droit des obligations de 2016, que l’empêchement temporaire dû à la force majeure suspend l’exécution de l’obligation, autrement dit qu’elle constitue une cause exonératoire de responsabilité. Le lien d’obligation demeure donc. Pour autant, pendant cette période de suspension, le cocontractant non concerné par le cas de force majeure est-il dispensé de réaliser sa prestation ?

La réponse ne fait pas de doute.<

Lorsque la force majeure empêche l’une des parties d’exécuter son obligation, l’autre partie est en droit elle aussi de ne pas exécuter sa propre obligation.

Ce refus d’exécution peut résulter de l’application de l’exception d’inexécution, dont le régime est prévu à l’article 1219 du code civil : « une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ». 

Ainsi, une entreprise se trouvant dans l’impossibilité de réaliser la prestation convenue du fait de la force majeure serait exonérée des conséquences de son inexécution mais ne pourrait réclamer le paiement pour les prestations qu’elle aurait dû réaliser.

Pour finir sur ce point, le Code civil prévoit lorsque l’empêchement est définitif la résolution de plein droit du contrat, les parties étant alors libérées de leurs obligations.

Néanmoins, par renvoi aux articles 1351 et 1351-1 du code civil, le débiteur ainsi libéré par la force majeure «définitive» ne le sera en réalité que si aucune clause contractuelle contraire n’était stipulée entre les parties et si aucune mise en demeure d’exécuter n’était parvenue avant la réalisation du cas de force majeure.

En cas de résolution du contrat pour cause de force majeure, la question des restitutions ne manquera également pas de se poser. En application des dispositions de l’article 1229 alinéa 3ème du Code civil, les restitutions seront intégrales ou partielles en fonction de « l’utilité » que les parties pouvaient trouver dans l’exécution intégrale ou au fur et à mesure du contrat.

Reste à voir comment la jurisprudence interprétera la mise en œuvre de ces conditions dans le contexte de l’épidémie du Covid-19.

La révision pour imprévision

L’épidémie du Covid-19 constituera certainement l’occasion d’appliquer la théorie de l’imprévision pour les cocontractants soucieux de maintenir leur relation contractuelle, mais dont l’exécution sera rendue difficile tant par la propagation de l’épidémie en tant que telle – en ce qu’elle affectera les effectifs et moyens des entreprises -, que par les mesures exceptionnelles de confinement et de restriction des activités économiques mises en place par le gouvernement.

La difficulté sera alors de parvenir à convaincre les tribunaux que l’épidémie du Covid-19 est une hypothèse justifiant la révision pour imprévision des contrats en cours.

Il est vrai que le droit français a désormais abandonné le principe dégagé par la jurisprudence ancienne de la Cour de cassation dit du Canal de Craponne qui empêchait, au nom de la force obligatoire des conventions tenant de loi entre les parties, d’en modifier le contenu au gré de l’évolution des circonstances (Cass. civ. 6 mars 1876). Au fil du temps, des tempéraments légaux ont été ainsi intégrés dans tel ou tel domaine, à l’instar des contrats d’édition au bénéfice de l’auteur de l’œuvre (Code de la propriété intellectuelle, article L. 131-5).

Depuis la réforme du droit des obligations de 2016, l’article 1195 du code civil admet le principe de la théorie de l’imprévision lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :

  • un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat » doit survenir 
  • ce changement doit rendre « l’exécution du contrat excessivement onéreuse »
  • la partie touchée par la survenance de ces circonstances « ne doit pas avoir accepté d’en assumer le risque ».

L’épidémie du Covid-19 sera-t-elle un changement de circonstances tel permettant de justifier la révision du contrat ?

A suivre les conditions exprimées par le texte, le caractère imprévisible de l’épidémie au moment de la conclusion du contrat sera certainement retenu pour les contrats conclus avant le déclenchement de l’épidémie à Wuhan, dans le Hubei chinois, premier foyer de contagion.

Mais quid des contrats conclus entre cette date et les autres points d’évolution de l’épidémie : la circonstance de la survenance de l’épidémie en France était-elle imprévisible début mars 2020, alors que les voisins italiens avaient déjà pris les premières mesures de confinement national et que la France comptait déjà quelques cas, certes sporadiques ?

En outre, même à considérer que la circonstance soit imprévisible, encore faut-il qu’elle ait été de nature à rendre l’exécution du contrat excessivement onéreuse. Là se trouve le point d’achoppement.

Il ne faut pas entendre par là la simple difficulté d’exécution entrainée par les contraintes liées à l’épidémie, où encore une baisse de rentabilité des opérations convenues par le contrat. La doctrine exige des conséquences exceptionnelles, sans pour autant nécessiter la faillite d’un cocontractant. La Cour de cassation a pu, en présence d’une clause de hardship, considérer que des annonces de hausse de prix des matières premières allant de 4% à 16%, ainsi qu’une diminution de la marge brute de 58% ne caractérisait pas une augmentation du coût de l’exécution des prestations et une « altération fondamentale de l’équilibre des prestations » (Cass. com. 17 février 2015, n°: 12-29550 13-18956 13-20230). L’analyse des jurisprudences les plus récentes rendues en la matière confirme la réticence du juge judiciaire à faire application du pouvoir de révision qui lui est accordé par les textes.

 Les parties auront pu prévoir dans le contrat des indices permettant de définir ce qu’elles entendent comme « exécution excessivement onéreuse », mais il y a fort à parier que de telles indications n’aient pas été prévues.

A cela, il convient d’ajouter que le champ d’application de la révision pour imprévision est limité depuis la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats qui a exclu du dispositif les obligations portant sur des opérations sur titres financiers et contrats financiers (Article L. 211-40-1 du code monétaire et financier).

Néanmoins, ces difficultés d’interprétation et de mise en œuvre sont relativisées par le système avant tout conventionnel que l’article 1195 du code civil met en place.

En effet, les parties seront toujours libres, si elles le souhaitent, d’entrer en discussion pour adapter les stipulations contractuelles aux nouvelles circonstances économiques liées à la crise sanitaire actuelle. Ce n’est qu’à défaut d’accord sur les conditions contractuelles que les parties pourront, d’un commun accord, résoudre le contrat en cours ou bien saisir le juge pour qu’il tranche entre les différentes propositions. Y compris en absence d’accord sur la renégociation, la résolution ou la saisine du juge, la partie qui s’estime lésée pourra toujours agir en justice pour obtenir la révision du contrat ou la résolution de celui-ci.

Le système mis en place paraît satisfaisant dans la mesure où il évite les blocages et permettra au contrat rendu excessivement onéreux en raison de l’épidémie soit de survivre, soit d’être résilié.

Néanmoins, il comporte l’exigence pour les parties de continuer à exécuter les termes du contrat tant qu’un nouvel accord n’est pas trouvé dans un délai raisonnable, laissé à l’appréciation du juge.

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