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30 avril 2021

Franchise and Distribution APRIL 2021

France - Franchise and Distribution newsletter #25

  • In-depth analysis

De l’importance de l’expérience du franchisé dans l’appréhension du vice du consentement au stade précontractuel

CA Paris, 20 janvier 2021, RG 19/03382 ; Cass. Com, 10 février 2021, n° 18-25474

Deux arrêts récents ont été rendus respectivement par la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation dans des litiges relatifs au vice du consentement découlant d’un document d’information précontractuelle incomplet et de prévisionnels exagérément optimistes.

Dans la première affaire (CA Paris, 20 janvier 2021, RG 19/03382), un franchisé demandait l’annulation de son contrat de franchise pour erreur substantielle sur la rentabilité, le franchiseur ne lui ayant pas remis de présentation du marché et lui ayant transmis des prévisionnels exagérément optimistes au stade précontractuel.

Bien que confirmant l’incomplétude du document d’information précontractuelle (concernant la présentation du marché et le réseau), des prévisionnels exagérément optimistes et même une « intention déloyale de dissimuler au franchisé dans le DIP l’état réel du réseau », la Cour d’appel de Paris a débouté le franchisé de ses demandes, notant que :

- s’agissant de l’erreur alléguée sur la rentabilité de la franchise :

  • la preuve n’était pas rapportée avec suffisance que la franchise en cause était structurellement déficitaire ;
  • le franchisé avait une expérience significative dans le secteur concerné. La Cour d’appel en a déduit que « la connaissance du marché local par le franchisé était de nature à lui permettre de relativiser au moins en partie les exagérations du franchiseur » et « il savait bien que le document prévisionnel fourni par le franchiseur n’avait pas valeur contractuelle et ne l’engageait pas sur les résultats annoncés ». Ainsi, si le franchisé s’était mépris sur le caractère rentable de l’opération, cette erreur n’avait pas été provoquée par les informations transmises par le franchiseur. Cet arrêt rappelle que l’erreur sur la rentabilité ne peut être retenue que si elle n’est pas inexcusable (Cass. Com., 10 juin 2020, n°18-21536).

- s’agissant du dol également allégué par le franchisé, il ne se présume pas. La Cour relève que la société franchisée ne « prouve pas non plus qu’elle n’aurait pas conclu le contrat de franchise si elle avait reçu l’ensemble des informations prévues par la loi » et « il n’est pas démontré que la remise du prévisionnel litigieux établi par le franchiseur, même pris avec les manquements du franchiseur à son obligation légale d’information, caractérise le dol. »

A titre subsidiaire, le franchisé avait demandé la résiliation du contrat au tort du franchiseur, mais la Cour a considéré qu’il ne démontrait pas de manquements du franchiseur aux engagements qu’il avait pris et a également débouté le franchisé à ce titre.

Dans la seconde affaire, qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 février 2021 (Cass. Com., 10 février 2021 n° 18-25474), la Haute juridiction a confirmé un arrêt de cour d’appel qui avait condamné un franchiseur à réparer intégralement le préjudice subi par l’associé d’un franchisé résultant de la faillite de ce dernier après avoir relevé la communication, par le franchiseur, de « chiffres nettement surévalués dans des proportions telles que le franchisé était dans l’impossibilité de réaliser le modèle économique défini par le franchiseur ».

Selon la Cour de cassation, le franchisé n’avait pas les moyens de contrôler le sérieux des prévisionnels communiqués par le franchiseur, lequel était un important acteur dans son secteur d’activité.

Ces arrêts se placent dans un courant jurisprudentiel impulsé par la Cour de cassation dans une série d’arrêts en 2016 (Cass. Com., 5 janvier 2016, n° 14-15701, 14-15702, 14-15705, 14-15706 et 15710), qui ont mis au centre de la réflexion, l’examen in concreto de l’expérience passée du franchisé et sa capacité à s’informer et à analyser lui-même la franchise proposée.



Vente par internet : les obligations du franchiseur dans le cadre du « click & collect »


Cass. Civ. 1e, 17 février 2021, n°19-20380

Dans cette affaire, un consommateur avait commandé un produit sur le site internet du franchiseur, pour le retirer quelques jours plus tard en « click & collect » dans les locaux du franchisé.

Après avoir vainement tenté d’exercer son droit de rétractation sur le fondement de l’article L.221-18 du Code de la consommation, l’acheteur a demandé au Tribunal d’instance compétent, la condamnation solidaire du franchisé et du franchiseur à lui rembourser le prix du produit.

Le Tribunal d’instance a fait droit à cette demande et condamné solidairement le franchiseur et le franchisé, estimant que, dans le cas où le franchiseur contrôle étroitement les conditions d’exercice de l’activité de ses franchisés, il encourt une « certaine responsabilité ».

Le franchiseur s’est alors pourvu en cassation, faisant valoir notamment que « la responsabilité civile contractuelle de droit commun du franchiseur ne peut être retenue au titre d’un acte conclu entre un franchisé et un tiers auquel il n’est pas partie » et que ses conditions générales de vente sur internet prévoyaient expressément que les franchisés étaient « entièrement responsables des ventes conclues avec des tiers dans leur établissement et en ligne, sans solidarité avec le franchiseur ».

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi, en considérant que « le tribunal n’a pas retenu que le franchiseur était un tiers au contrat mais a constaté que la commande avait été passée sur le site Internet du franchiseur et que celui-ci n’avait pas respecté la loi dite Hamon s’agissant de l’exercice du droit de rétractation ainsi que ses propres règles relatives aux conditions de vente figurant sur son site Internet. »

Cette solution est critiquable au regard de l’effet relatif des contrats : en l’espèce, le franchiseur était tiers au contrat de vente conclu entre le consommateur et le franchisé.

Elle invite en tout cas à la prudence, lorsque le franchiseur met à la disposition du franchisé un site Internet par l’intermédiaire duquel ce dernier peut offrir ses produits à la vente. Dans ce cas, s’il ne souhaite pas voir sa responsabilité recherchée, il aura tout intérêt à (i) renforcer considérablement l’information préalable du consommateur afin qu’il soit très clair que la commande ne lie pas le franchiseur mais uniquement le franchisé concerné, (ii) sensibiliser ses franchisés sur leurs obligations en matière de droit de la consommation et (iii) obtenir de leur part une garantie en cas de non-respect de cette législation.



Validité de l’interdiction de revente de produits sur des plateformes internet tierces dans un réseau de distribution exclusive


Autorité de la concurrence, décision n° 20-D-20 du 3 décembre 2020, Dammann Frères

Dans cette affaire, un fournisseur de thés haut de gamme avait mis en œuvre, dans le cadre de son réseau de distribution sous licence de marque, deux types de pratiques susceptibles de restreindre le jeu de la concurrence.

La première consistait à imposer à ses distributeurs des prix minimaux de revente en ligne des produits.

Cette pratique s’est manifestée par les faits suivants : (i) la diffusion de prix de revente conseillés par le fournisseur, (ii) des incitations (incluses notamment dans les conditions générales de vente du fournisseur) à appliquer les prix de revente conseillés, (iii) la surveillance par le fournisseur des prix de revente appliqués par les distributeurs et (iv) les interventions et les sanctions du fournisseur à l'encontre des distributeurs dont les prix de revente étaient inférieurs aux prix conseillés.

L’Autorité a déduit de ces faits que le fournisseur s'était entendu avec ses distributeurs en ligne sur les prix de revente de ses produits, cette entente ayant pour finalité de permettre au fournisseur d'harmoniser les prix de revente de ses produits entre les différents sites de vente en ligne.

Se référant expressément à la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) (CJUE, 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18), l’Autorité a considéré que la pratique mise en œuvre par le fournisseur et ses distributeurs révélait un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiée de restriction par objet.

L’Autorité a donc infligé une amende de 226.000 euros au fournisseur et lui a fait injonction de publier un résumé de la décision sur son site de vente en ligne ainsi que dans une édition électronique et papier du quotidien Le Monde.

La seconde pratique consistait à interdire aux distributeurs de revendre les produits via des plateformes tierces.

S’agissant de l’interdiction de revente de produits sur des plateformes tierces, l’arrêt Coty Germany de la CJUE du 6 décembre 2017 (C-230/16) a validé le principe de cette interdiction, dans un réseau de distribution sélective, dès lors que les conditions suivantes étaient respectées :

  • la clause visait à préserver l’image de luxe des produits concernés ;
  • la clause était fixée d’une manière uniforme et appliquée d’une façon non discriminatoire ; et
  • la clause était proportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

Toutefois, comme l’a souligné la Commission européenne, par sa rédaction, l’arrêt de la CJUE laissait entendre que la solution était transposable en dehors du domaine du luxe.

Ainsi, dès juillet 2018, la Cour d’appel de Paris considérait que l’interdiction était justifiée dans une affaire impliquant un fabriquant de cosmétiques haut de gamme (CA Paris, 13 juillet 2018, n°17/20787).

Dans le prolongement de ces deux décisions, l’Autorité avait ensuite estimé que cette interdiction permettait valablement à un fournisseur de matériel de motoculture, qui n'avait aucun lien contractuel avec les plateformes en cause, de s’assurer, de manière à la fois appropriée et proportionnée, que ses produits soient vendus dans des conditions qui préservent son image de marque et garantissent la sécurité du consommateur (Autorité de la concurrence, décision n° 18-D-23 du 24 octobre 2018).

Dans la décision ici commentée du 3 décembre 2020, l’Autorité étend la solution de l’arrêt Coty (qu’elle cite expressément) et de sa décision précitée au-delà de la distribution sélective en relevant que, (i) la pratique constatée bénéficie d'une exemption au titre du règlement (UE) n° 330/2010, et que (ii) cette exemption s’applique car la pratique en cause ne constitue pas une restriction caractérisée de la clientèle des distributeurs (au sens de l'article 4, b) du règlement n° 330/2010), dans la mesure où le fournisseur n'interdisait pas à ses distributeurs de vendre par Internet et de se faire connaître par le biais de sites Internet tiers.

Les parts de marché du fournisseur et de ses distributeurs sur le marché des thés haut de gamme vendus en ligne étant inférieures à 30 % (condition d’application du règlement n° 330/2010), l’Autorité n’a pas retenu ce second grief.

On peut se féliciter de cette décision, de nature à bénéficier à l’ensemble des marques souhaitant protéger le positionnement haut de gamme de leurs produits.


Franchise : intuitu personae, droit de préférence et devoir d’information du franchisé

Cass. Com., 13 janvier 2021, n° 19-17051


Dans cette affaire, un franchiseur avait octroyé une franchise à une société pour l’exploitation d’un magasin de distribution alimentaire.
A la suite de la résiliation du contrat de franchise par la société franchisée pour inexécution alléguée du contrat par le franchiseur, le gérant de la société franchisée, qui détenait la majorité des parts de celle-ci, a cédé ses parts à une société directement concurrente du franchiseur.

Le franchiseur a alors assigné en dommages et intérêts à la fois la société franchisée, son gérant et le concurrent-acquéreur (en qualité de complice) au motif que la clause d’intuitu personae et son droit de préférence, contractuellement prévus, avaient été violés.

En défense, la société franchisée et son gérant arguaient que le pacte de préférence stipulé au contrat de franchise avait été souscrit par la société franchisée seule et que cet engagement n’avait pas été pris personnellement par les associés (le dirigeant de la société franchisée n’ayant signé le contrat qu’en qualité de gérant et non d’associé).

Selon eux, (i) le gérant, propriétaire des parts, n’étant pas personnellement partie au contrat de franchise, il n’était pas tenu de respecter le pacte de préférence stipulé au contrat, qui ne s’imposait qu’à la société franchisée et (ii) la société franchisée n’étant pas propriétaire des parts, elle ne pouvait se voir opposer le pacte de préférence puisqu’elle n’avait aucune faculté de céder les parts au franchiseur.

La Cour d’appel a cependant considéré (i) que la clause d’intuitu personae liait tout à la fois la société franchisée et son gérant (les deux étant qualifiés de « franchisé » dans la clause), (ii) que la société franchisée savait, via cette clause d’intuitu personae, que la détention par le gérant de la majorité des parts de la société franchisée, était déterminante pour le franchiseur, et (iii) que le contrat de franchise accordait un droit de préférence au franchiseur « en cas de cession de tout ou partie des actions ou parts représentant le capital » de la société franchisée et que cette clause de préférence liait également le gérant.

La Cour en a déduit que la société franchisée avait une « obligation d’information préalable » à l’égard du franchiseur « quand bien même elle serait tiers à la cession des parts sociales » et a sanctionné la société franchisée à 20.000 euros de dommages et intérêts pour violation de cette obligation.
La Cour de cassation a approuvé cette sanction.

Cette décision est assez surprenante : par principe, un droit de préférence ne lie que celui qui le souscrit expressément. Or, dans cette affaire, les associés n’avaient manifestement pas souscrit cet engagement (pas même le gérant de la société qui était par ailleurs associé).
En réalité, avec son interprétation pour le moins audacieuse des clauses du contrat, la Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a voulu sanctionner un comportement qu’elle estimait frauduleux.

D’ailleurs, outre la condamnation de la société franchisée, la Cour de cassation a également approuvé la Cour d’appel d’avoir reconnu la complicité du concurrent-acquéreur des parts sociales et de l’avoir condamné à verser 40.000 € au franchiseur pour « atteinte à son image » au motif qu’il avait participé en connaissance de cause à la violation d’obligations contractuelles qu’en sa qualité de professionnel aguerri, il ne pouvait ignorer.



Centrale d’achat : la convention annuelle unique nécessaire non seulement avec ses fournisseurs mais également avec ses membres ?


CEPC, Avis n° 20-6 du 17 décembre 2020 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur l’applicabilité des articles L. 441-3 et L. 441-4 du code de commerce

Dans cet avis, la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) s’est prononcée sur l’application des articles L.441-3 et L.441-4 du Code de commerce dans le cadre des relations entre, d’une part, les centrales d’achat intervenant dans le secteur de la grande distribution et, d’autre part, les sociétés indépendantes qu’elles approvisionnent.

Pour mémoire, depuis l’ordonnance du 24 avril 2019 portant réforme du titre IV et du livre IV du Code de commerce, le code prévoit un régime général applicable aux conventions uniques conclues par les distributeurs avec leurs fournisseurs (article L.441-3 du Code de commerce – ancien article L.441-7) et des règles additionnelles applicables aux produits de grande consommation, définis comme des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation (article L.441-4 du Code de commerce).

L’article L.441-3 impose ainsi aux acteurs de la distribution, lorsqu’ils entretiennent une relation commerciale avec leur fournisseur, qui ne se borne pas à la simple conclusion de contrats d’achat-vente sur la base des conditions générales de vente de ce dernier, de conclure avec lui une convention écrite d’une durée de un à trois ans qui suit un certain formalisme, afin d’encadrer (i) les conditions de l’opération de vente des produits ou des prestations de services, y compris les réductions de prix, (ii) les services de coopération commerciale, propres à favoriser la commercialisation des produits ou services du fournisseur, que le distributeur ou le prestataire de service lui rend et (iii) les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services.

L’article L.441-4 y ajoute certaines obligations (notamment la fixation d’un chiffre d’affaires prévisionnel) concernant la catégorie des produits de grande consommation.

La CEPC indique qu’hormis lorsque la centrale d’achat est mandatée par ses membres (et agit comme mandataire ou commissionnaire à l’achat), elle « agit en qualité de distributeur dans ses relations avec les fournisseurs en ce qu’elle achète pour revendre et est le fournisseur d’entreprises indépendantes qui achètent pour revendre sans être reliées à la centrale par une relation de mandat ».

Une centrale d’achat est donc soumise au formalisme de l’article L. 441-3 du Code de commerce (et le cas échéant celui de l’article L.441-4) non seulement dans ses relations avec ses fournisseurs, mais également avec ses propres membres qui lui achètent les produits pour les revendre en l’état.

La CEPC prend toutefois le soin de préciser que ces textes ne trouveront pas à s’appliquer lorsque la relation commerciale de la centrale avec ses membres « se borne à la conclusion de contrats instantanés sur le fondement des conditions générales ou catégorielles du vendeur » (avis n°10-07 venant compléter le dispositif de questions-réponses relatif à la mise en œuvre de la LME) autrement dit lorsque les adhérents à la centrale d’achat ne négocient pas ses conditions générales de vente et ne lui apportent aucun service de coopération commerciale ou de nature à favoriser la relation commerciale.


Pouvoir de négociation et application du statut d’agent commercial : un revirement de jurisprudence limité ?

Cass. Com., 2 décembre 2020, n°18-20231 ; Cass. Com., 27 janvier 2021, n°18-10835

Par un arrêt attendu du 2 décembre 2020, la Cour de cassation a procédé à un revirement de sa jurisprudence relative au pouvoir de négociation de l’agent commercial, en harmonisant sa position avec celle du juge européen.

Pour rappel, l’agent commercial est défini en droit français par l’article L.134-1 du Code de commerce comme le mandataire qui est chargé de négocier, et éventuellement de conclure, des contrats au nom et pour le compte de son mandant. Les dispositions définissant le statut et encadrant l’exercice de l’activité des agents commerciaux (articles L.134-1 et suivants du Code de commerce) sont issues de la transposition de la directive européenne n°86/653/CEE du 18 décembre 1986 d’harmonisation des droits des Etats membres sur les agents commerciaux indépendants.

Il résulte de cette définition que le pouvoir de négociation du mandataire constitue l’un des éléments de caractérisation de l’agent commercial. La directive du 18 décembre 1986 ne donne toutefois pas de définition du terme « négocier » contenu dans sa définition de l’agent commercial. Dans le silence des textes, la Cour de cassation a délivré sa propre interprétation de cette notion.

Ainsi, dans un important arrêt du 15 janvier 2008, confirmé au cours de la même année par deux autres décisions, la chambre commerciale de la Cour de cassation refusait la qualification d’agent commercial au mandataire qui s’était engagé par contrat à n’apporter aucune modification aux tarifs et conditions commerciales fixées par son mandant, privant selon elle ce dernier de tout pouvoir de négocier les contrats (Cass. Com., 15 janvier 2008, n°06-14698 ; Cass. Com., 20 mai 2008, n°07-13488 ; Cass. Com., 20 mai 2008, n°07-12234).

Par la suite, malgré les critiques de la doctrine et de la pratique dénonçant la rigueur de cette interprétation, la Cour de cassation a maintenu cette position (voir par exemple : Cass. Com., 20 janvier 2015, n°13-24231).

Cette interprétation rigoriste a cependant été invalidée par la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) dans un arrêt du 4 juin 2020 « Trendsetteuse » (CJUE, 4 juin 2020, aff. C-828/18).

Saisie d’une question préjudicielle par le Tribunal de commerce de Paris afin de savoir si une société ne disposant pas du pouvoir de modifier les prix des articles qu’elle vend pour le compte d’une autre société pouvait être considérée comme disposant du pouvoir de « négocier » des contrats au sens de la directive du 18 décembre 1986, la Cour de justice a décidé que : « L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial, au sens de cette disposition ».

Dans son arrêt du 2 décembre 2020, la Cour de cassation s’est alignée sur la position de la CJUE et a clairement indiqué que l’absence du pouvoir du mandataire de modifier le prix des produits ou services n’était pas un obstacle à l’application du statut de l’agent commercial (Cass. Com., 2 décembre 2020, n°18-20231).

Un autre arrêt de la Cour de cassation rendu moins de deux mois plus tard est cependant venu semer le doute sur la portée de son revirement de jurisprudence (Cass. Com., 27 janvier 2021, n°18-10835).

Dans cette affaire, une société ayant subi la résiliation de son « contrat d’apporteur d’affaires » par son cocontractant avait sollicité la requalification de ce contrat en contrat d’agence commerciale pour obtenir le paiement d’une indemnité de rupture. Les demandes de l’intermédiaire avaient été rejetées par la Cour d’appel de Montpellier, qui avait qualifié le contrat de contrat de courtage au motif que l’intermédiaire n’était investi d’aucun pouvoir de négociation.

La Cour de cassation a confirmé cette décision en retenant que l’intermédiaire, s’il jouissait bien d’une entière liberté pour s’organiser et prospecter la clientèle, n’intervenait cependant pas dans la politique commerciale de la société et qu’il ne disposait d’aucun pouvoir de signature ou de négociation des conditions contractuelles. En l’absence de tout pouvoir de négociation de l’intermédiaire, la Cour de cassation a considéré que les parties avaient conclu et exécuté un contrat de courtage, et non d’agence commerciale.

De prime abord, cette décision semble revenir sur le revirement de jurisprudence que la Cour de cassation venait tout juste d’opérer. Est-il cohérent, en effet, de distinguer le pouvoir de négocier les prix (expressément et uniquement visés par l’arrêt Trendsetteuse de la CJUE du 4 juin 2020 et l’arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2020) du pouvoir de négocier les autres conditions commerciales ?

La solution adoptée par la Cour de cassation le 27 janvier 2021 peut toutefois s’expliquer par les circonstances de l’espèce : outre son absence de pouvoir de négociation, l’intermédiaire ne disposait pas non plus du pouvoir de signer les contrats pour le compte de la société. Or, le courtier est effectivement l’intermédiaire qui met simplement les parties en relation, sans pouvoir négocier ni conclure les contrats.

Ce faisant, la Cour de cassation laisse une place au contrat de courtage qui, sans cela, n’existerait tout simplement plus !

Aux praticiens, désormais, de rédiger leurs contrats avec la précision nécessaire afin que le régime juridique retenu soit clair et le moins susceptible possible d’interprétation.


Panorama de jurisprudence récente relative à la rupture brutale des relations commerciales établies

Cass. Com., 18 novembre 2020, n°19-14775 ; Cass. Com., 16 décembre 2020, n°18-20548 ; Cass. Com., 10 février 2021, n°19 10306 ; Cass. Com., 10 février 2021, n°19 15369

L’article L.442-1, II du Code de commerce (ancien article L.442-6, I, 5°) prévoit que la responsabilité d’un opérateur économique est susceptible d’être engagée si ce dernier a rompu, même partiellement, une relation commerciale établie sans faire bénéficier son cocontractant d’un délai de préavis suffisant, lui permettant de se réorganiser.

Pour être suffisant, le préavis doit, entre autres circonstances, principalement tenir compte de la durée de la relation commerciale.

De récentes décisions de la Cour de cassation rappellent certains des contours de cette responsabilité.

En premier lieu, sur l’applicabilité des dispositions relatives à la rupture des relations commerciales établies, il est de jurisprudence constante que ces dispositions ne peuvent pas être invoquées par certains professionnels civils auxquels il est interdit d’accomplir des actes de commerce. Il s’agit notamment des avocats (Cass. Com., 24 novembre 2015, n°14-22578), des notaires (Cass. Com., 20 janvier 2009, n°07-17556), des conseils en propriété industrielle (Cass. Com., 3 avril 2013, n°12 17905) et des médecins (Cass. Com. 23 octobre 2007, n°06-16774). La Cour de cassation a récemment rappelé ce principe à l’égard des médecins (Cass. Com., 16 décembre 2020, n°18-20548) mais a ouvert la possibilité aux experts comptables, dont l’activité est en principe incompatible avec une activité commerciale, de démontrer que la relation avec leurs clients dont ils subissent la rupture portait sur une activité commerciale accessoire à leur activité d’expert comptable et autorisée par leurs règles déontologiques (Cass. Com., 10 février 2021, n°19 10306).
En deuxième lieu, sur la durée de la relation commerciale à prendre en considération pour déterminer la suffisance du préavis précédant la rupture, la Cour de cassation a rappelé dans un récent arrêt que la relation commerciale entre deux mêmes parties peut, en réalité, être constituée de plusieurs relations commerciales distinctes (portant sur des activités distinctes) ayant débuté à des dates différentes. Les ruptures de ces relations commerciales distinctes sont donc susceptibles de nécessiter des préavis de durées différentes. Ce même arrêt évoque également la problématique de l’éventuelle interruption de la relation commerciale liée à la cession d’une activité et son incidence sur la durée de relation à prendre en compte pour déterminer le préavis suffisant. A cet égard, la Cour de cassation a précisé que « la seule circonstance qu’un tiers, ayant repris l’activité ou partie de l’activité d’une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c’est la même relation commerciale qui s’est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s’y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties » (Cass. Com., 10 février 2021, n°19 15369). Cette précision très importante invite les parties à bien documenter leurs intentions ne cas de cession, par exemple en se référant ou en excluant la relation antérieure, voire à un contrat antérieur dans leurs échanges.

En troisième et dernier lieu, sur le motif de la rupture, il est constant en jurisprudence qu’une faute d’une gravité suffisante d’une partie justifie que l’autre partie puisse rompre sans préavis une relation commerciale sans engager sa responsabilité, même lorsque cette relation est établie (Cass. Com., 27 mars 2019, n°17-16548 ; Cass. Com., 24 mai 2011, n°10-17844). A ce sujet, la Cour de cassation a précisé récemment que la faute grave du dirigeant d’une société peut justifier une rupture de la relation commerciale établie avec cette société. En l’espèce, une société de prestation de services avait conclu un contrat avec une autre société. Ce contrat comportait des obligations de bonne conduite essentielles ainsi qu’une clause d’intuitu personae liée à la personne du dirigeant de la société de prestation de services, qui réalisait personnellement les prestations du contrat. Ce dirigeant ayant manqué de manière répétée aux obligations contractuelles de bonne conduite, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir décidé que la faute grave du dirigeant, qui s’identifiait à la société de prestation de services, justifiait la rupture brutale de la relation commerciale avec cette société (Cass. Com., 18 novembre 2020, n°19-14775).

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