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13 octobre 2020

Newsletter Franchise & Réseaux

  • In-depth analysis

Information précontractuelle et erreur sur la rentabilité

Cass. Com., 10 juin 2020, n° 18-21536

Dans cette affaire, le franchisé recherchait la nullité du contrat de franchise et l’attribution de dommages-intérêts en raison de la communication par le franchiseur d’un prévisionnel erroné et du manquement de ce dernier à son obligation d’assister le franchisé dans la recherche et la négociation d'un local du fait de l'inadaptation de l'emplacement, de la trop grande superficie des locaux et du caractère excessif du loyer.

La Cour de cassation commence par rappeler que « lorsque le franchiseur, qui n'est pas légalement tenu de le faire, remet au franchisé un compte d'exploitation prévisionnel, ce document doit être sincère et vérifiable ». Il s’agit d’une solution classique (voir par exemple, Cass. Com., 31 janvier 2012, n° 11-10834).

La Cour de cassation approuve ainsi l’arrêt d’appel qui a retenu que les comptes prévisionnels exagérément optimistes remis par le franchiseur avaient provoqué, dans l'esprit du franchisé, novice dans le secteur économique concerné, une erreur sur la rentabilité de son activité, portant sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain est déterminante, et que c'est en raison de cette erreur déterminante que le franchisé avait été conduit à conclure le contrat litigieux.

Pour combattre les prétentions du franchisé, le franchiseur soutenait que les comptes prévisionnels ne pouvaient pas constituer un élément déterminant du consentement du franchisé puisque, dans le contrat de franchise, le franchisé déclarait expressément, d'une part, avoir conscience de ce que les données communiquées ne permettaient d'élaborer que des hypothèses chiffrées sans garantie de résultat et, d'autre part, qu'un décalage, même important, entre ses réalisations effectives et les estimations prévisionnelles ne pourrait constituer un motif de remise en cause de son engagement contractuel.

La Cour de cassation rejette l’argument du franchiseur et retient que la cour d’appel n’était pas tenue d’analyser la portée de ces stipulations contractuelles dès lors qu’elles étaient entachées des mêmes vices que le contrat dans son ensemble et ne pouvaient donc être opposées au franchisé.

Ensuite, la cour d’appel a également retenu des manquements du franchiseur à ses obligations contractuelles. En l’espèce, le contrat de franchise prévoyait expressément que le franchiseur s’engageait à assister et à conseiller le franchisé dans le cadre de la recherche et de la négociation d’un local. Le franchiseur avait donc validé l'emplacement choisi par le franchisé et négocié les conditions du bail. Or, les locaux se sont révélés inadaptés à l’exercice de l’activité en raison d'une superficie trop vaste et d'un loyer excessif, rendant l'affaire du franchisé non viable.

La cour d’appel en a déduit que si ces fautes contractuelles n’induisaient pas en soi un vice du consentement, elles renforçaient la portée des informations prévisionnelles erronées et les conséquences de l’absence d’état du marché local puisque le coût du bail représentait une donnée essentielle en considération de laquelle le franchisé avait élaboré son projet d’installation.

Là encore, la Cour de cassation a donné raison à la cour d’appel qui, selon elle, a pu retenir que l'inadaptation de l'emplacement, la trop grande superficie des locaux et le caractère excessif du loyer, trop élevé pour garantir au franchisé un taux de rentabilité minimale, ont été également déterminants pour le consentement du franchisé et portaient sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain est déterminante.

Cet arrêt appelle plusieurs remarques :

  • D’abord, l’erreur sur la rentabilité, reconnue par la jurisprudence depuis 2011 (Cass. Com., 4 octobre 2011, n° 10-20956) de manière désormais constante, est nécessairement une erreur qui a été provoquée par les informations erronées remises par le franchiseur. Celui-ci n’a pas forcément voulu induire en erreur (on serait, sinon, en présence d’un dol). Mais s’il n’a pas communiqué de chiffres erronés conduisant à l’erreur, le franchisé ne peut se prévaloir d’une erreur sur la rentabilité. La remise d’informations chiffrées, si elle a lieu (et il est difficile de faire autrement) doit donc toujours se faire avec beaucoup de sérieux et prudence et la remise de prévisionnels par le franchiseur constitue une prise de risque qu’il faut bien considérer et qui demeure déconseillée ;
  • Ensuite, cette décision a été rendue sous l’empire des dispositions du Code civile précédant la réforme du droit des contrats de 2016 et il est possible de se demander si la solution aurait été la même sous l’empire des nouvelles dispositions. Sous les dispositions de l’article 1110 (ancien) du Code civil, l’annulation du contrat n’était possible qu’en cas d’erreur sur la substance et la Cour de cassation avait considéré, à compter de 2011, que l’espérance de gain constituait un élément déterminant de la substance du contrat de franchise (Cass. Com., 4 octobre 2011, n° 10-20956 ; Cass. com., 12 juin 2012, n°11-19.047). Depuis l’entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la nullité pour erreur est régie par les articles 1132 et suivants du code civil. La notion de substance y est remplacée par celle des « qualités essentielles de la prestation due », lesquelles sont définies comme « celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté » (article 1133 du Code civil). Or, l’article 1133 du Code civil précise, in fine, que « l'acceptation d'un aléa sur une qualité de la prestation exclut l'erreur relative à cette qualité. » Il est possible de s’interroger sur le point de savoir si, sous l’empire de ce nouvel article 1133 du Code civil, l’argument du franchiseur selon lequel le franchisé avait accepté l’aléa de son activité dans une clause du contrat serait accueilli pour rejeter la demande en annulation du contrat.

Consécration du caractère de loi de police des dispositions du Code de commerce prohibant les pratiques restrictives de concurrence

Cass. Com., 8 juillet 2020, n° 17-31536

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 juillet 2020 était très attendu. Cela faisait en effet des années qu’au fil de ses différents arrêts, la Cour d’appel de Paris (seule compétente en appel, depuis un décret du 11 novembre 2009) reconnaissait régulièrement le caractère de loi de police des dispositions de l’article L.442-1 du Code de commerce (ancien article L.442-6 du Code de commerce) qui prohibent les pratiques restrictives de concurrence (par exemple : CA Paris, 21 juin 2017, n° 15/18784), mais que la position de la Cour de cassation se faisait attendre.

Aux termes de l’article 9 du règlement Rome I du 17 juin 2008 relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles, la « loi de police » est « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement ».

C’est la jurisprudence qui détermine quelle disposition d’ordre public français est, ou non, une loi de police qui doit aussi s’appliquer dans l’ordre international quand une autre loi que la loi française s’applique. La Cour de cassation est traditionnellement – et à juste titre – assez stricte en la matière. La Haute juridiction a ainsi reconnu que la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance était une loi de police (Cass. Mixte, 30 novembre 2007, n°06-14006) mais elle a refusé cette qualification aux dispositions sur l’agence commerciale, nonobstant une jurisprudence contraire de la Cour de Justice de l’Union Européenne (Cass. Com., 5 janvier 2016, n°14-10628).

Il y a quelques années, alors que la question lui était soumise dans le cadre d’un litige opposant la société américaine Monster Cable Products, Inc. et la société française Société Audio Marketing Service au sujet d’un contrat de distribution exclusive rompu brutalement (ce qui était prohibé par l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce devenu article L.442-1, II) qui contenait une clause attribuant compétence exclusive aux tribunaux de San Francisco, la Cour de cassation avait refusé de reconnaître la compétence juridictionnelle des tribunaux français au seul motif que des lois de police seraient en jeu. Mais la Cour avait utilisé une formulation ne permettant pas de conclure si elle considérait ces dispositions comme une loi de police : « la clause attributive de juridiction contenue dans ce contrat visait tout litige né du contrat, et devait en conséquence, être mise en œuvre, des dispositions impératives constitutives de lois de police fussent-elles applicables au fond du litige » (Cass. 1 e Civ., 22 octobre 2008, n° 07-15.823).

Dans l’affaire ici commentée qui a abouti à l’arrêt de rejet du 8 juillet 2020, la société Expedia était opposée au Ministre de l’économie qui avait engagé une action sur le fondement du déséquilibre significatif (article L.442-6, I, 2° du Code de commerce, devenu article L.442-1, I, 2° du Code de commerce) et contestait l’application de la loi française à des contrats qui étaient soumis à la loi anglaise.

Pour la première fois, la Cour de cassation se prononce ainsi clairement sur le caractère de loi de police de la prohibition d’une pratique restrictive de concurrence :

« La cour d'appel a exactement retenu que l'article L. 442-6, I, 2° et II, d) du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s'avèrent donc indispensables pour l'organisation économique et sociale de la France, ce dont elle a déduit, à bon droit, qu'elles constituent des lois de police dont l'application, conformément tant à l'article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles qu'à l'article 16 du règlement (CE) n° 864/2007du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, s'impose au juge saisi, sans qu'il soit besoin de rechercher la règle de conflit de lois conduisant à la détermination de la loi applicable. »

Cette décision a le mérite de clore un débat dont l’issue faisait, au fond, assez peu de doute : quelle que soit la loi applicable au litige, la partie française, victime d’un déséquilibre significatif, pourra toujours invoquer les dispositions de l’article L.442-6, I, 2° (nouvel article L.442-1, I, 2°) du Code de commerce.

Si l’arrêt de la Cour de cassation ne se prononce que sur les dispositions qui prohibent le déséquilibre significatif, il est extrêmement probable que la solution soit transposable aux autres pratiques restrictives de concurrence (dont la rupture brutale de relation commerciale établie et l’obtention d’avantages sans contrepartie).

Concurrence déloyale : l’avantage concurrentiel indu que s’est octroyé un concurrent fautif est désormais susceptible d’être pris en considération pour calculer le préjudice de la victime

Cass. Com., 12 février 2020, n°17‑31614

Le principe de la réparation intégrale du préjudice est un des principes fondamentaux du droit de la responsabilité civile français.

Selon ce principe, l’indemnisation due par l’auteur d’un dommage à la victime doit permettre à cette dernière d’être remise dans l’état dans lequel elle aurait dû se trouver si le dommage n’était pas survenu (Cass. Civ. 2, 8 avril 1970, n°68-13.969, Bull. n°111). Autrement dit, la victime doit recevoir une indemnisation qui ne doit ni laisser subsister une perte, ni permettre de réaliser un profit (Cass. Civ. 2, 23 janvier 2003, n°01-00200, Bull. n°20).

Mettre en œuvre ce principe impose généralement d’analyser la situation de la victime avant et après la survenance du dommage et, dans certaines hypothèses, d’établir un scénario contrefactuel qui présente la situation dans laquelle la victime aurait dû se trouver si le dommage n’avait pas eu lieu. Cette analyse se fait donc en principe en tenant compte de la seule situation de la victime, sans que la situation de l’auteur de la faute ayant conduit au dommage ne soit examinée.

Mais, un arrêt rendu le 12 février 2020 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation a remis partiellement en cause le principe de la réparation intégrale en matière de concurrence déloyale (Cass. Com., 12 février 2020, n°17‑31614).

L’affaire qui a donné lieu à cet arrêt a opposé deux sociétés concurrentes opérant dans la même rue d’une commune de Moselle. D’une part, la société Cristallerie de Montbronn, spécialisée dans la création et la fabrication de produits d'arts de la table en cristal. D’autre part, la société Cristal de Paris, qui commercialisait des produits en cristal fabriqués, taillés et polis en Chine et en Europe ainsi que des produits en verre, cristallin et luxion. La première de ces sociétés a reproché à la seconde d’avoir commis des pratiques commerciales trompeuses consistant à présenter dans ses catalogues des produits en verre, en cristallin ou luxion mélangés à des produits en cristal afin de laisser croire que l'ensemble serait en cristal, à les présenter comme étant « made in France » et à se présenter elle‑même comme un « haut lieu du verre taillé en Lorraine » et un « spécialiste de la taille ». La société Cristallerie de Montbronn a donc engagé une action en justice en concurrence déloyale, afin de solliciter l’indemnisation du préjudice que ces pratiques lui ont causé.

Le Tribunal de commerce de Paris puis la Cour d’appel de Paris, qui ont eu à connaître de cette affaire, ont jugé que la société Cristal de Paris avait trompé le consommateur sur la composition, l'origine et les qualités substantielles des produits qu’elle vendait et, subséquemment, s'est assurée un avantage concurrentiel indu au préjudice de la société Cristallerie de Montbronn. Dans un jugement du Tribunal de commerce de Paris du 29 février 2016, confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 septembre 2017, la société Cristal de Paris a été condamnée au paiement d’une indemnité d’un montant de 300.000 euros à la société Cristallerie de Montbronn.

Pour évaluer le préjudice subi par la société Cristallerie de Montbronn et déterminer l’indemnisation corrélative, les juges du fond ont pris en considération l’avantage concurrentiel indu que la société Cristal de Paris s’était octroyé et l’ont modulé proportionnellement au chiffre d’affaires respectif de chaque société et à la part de ce chiffre affectée par la pratique ; alors même que le rapport mathématique entre le préjudice subi et l’avantage indu est discutable.

Les juges ont ainsi évalué le préjudice subi par la victime d’actes de concurrence déloyale, non pas en fonction de sa propre situation (ce que commanderait le principe de la réparation intégrale), mais en fonction de la situation de l’auteur de ces actes fautifs.

La société Cristal de Paris, a formé un pourvoi en cassation, arguant que le principe de la réparation intégrale du préjudice aurait dû être strictement appliqué.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a rappelé qu’il existe bien un principe de la réparation intégrale et une présomption de préjudice en cas d’actes de concurrence déloyale, mais que l’évaluation par la victime de son préjudice peut être plus ou moins difficile selon le type d’acte de concurrence déloyale qu’elle a subi.

La Cour de cassation a donc décidé d’opérer une distinction entre deux types d’actes de concurrence déloyale :

  • D’une part, les actes tendant à détourner ou s’approprier une clientèle ou à désorganiser une entreprise concurrente
  • D’autre part, ceux consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d'un concurrent, ou à s'affranchir d'une réglementation.

La Cour de cassation a expliqué que le préjudice résultant des premiers peut être assez aisément évalué « en ce qu'elles induisent des conséquences économiques négatives pour la victime, soit un manque à gagner et une perte subie », tandis que le préjudice résultant des seconds, « en ce qu'ilspermettent à l'auteur des pratiques de s'épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu ».

La Cour a ainsi décidé que pour ce second type d’actes, « il y a lieu d'admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes ».

La Cour de cassation a donc entériné la méthode d’évaluation du préjudice et l’indemnisation retenues par les juges du fond et a rejeté le pourvoi de la société Cristal de Paris.

Finalement, on retiendra que cet arrêt, novateur et pragmatique, fait prévaloir la bonne administration de la justice sur le principe de la réparation intégrale en rendant plus aisée l’évaluation par la victime de son préjudice.

La Cour d’appel de Paris reconnaît la force majeure invoquée en raison de la pandémie de Covid19

CA Paris, 28 juillet 2020, n° 20/06689 et n° 20/06676

L’épidémie de Covid-19 et les mesures de confinement prises par le Gouvernement ont conduit de nombreuses entreprises à se prévaloir de la force majeure pour suspendre l’exécution de leurs obligations contractuelles. Ce fut notamment le cas des sociétés Total Direct Energie et Gazel Energie Solutions à l’égard de la société Electricité de France (EDF).

Total Direct Energie et Gazel Energie Solutions, fournisseurs d’énergie alternatifs, ont chacune conclu un contrat avec EDF dans lequel elles se sont engagées à lui acheter, à un prix fixé par arrêté, un volume d’énergie déterminé en fonction des prévisions de consommation de leurs clients. Ces contrats contenaient une clause prévoyant leur suspension ou résiliation « en cas de survenance d’un évènement de force majeure » défini comme « un évènement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l'exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables ».

Il s’agissait ainsi d’une conception très extensive de la force majeure laquelle est définie par l’article 1218 du Code civil comme« un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.»

En mars 2020, à la suite des mesures de confinement prises ayant entrainé une diminution de la consommation d’énergie de l’électricité en France (particulièrement sur le segment industriel) Total Direct Energie et Gazel Energie Solutions ont notifié à EDF l’application de la clause de force majeure et demandé la suspension de leurs obligations d’achat d’électricité au prix fixé par arrêté.

EDF a refusé de faire droit à ces demandes, considérant notamment que les critères de la force majeure n’étaient pas remplis.

Les fournisseurs d’énergie alternatifs ont alors saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris en vue, principalement, de donner plein effet à la suspension des contrats en raison de l'application de la clause de force majeure et en soutenant que le refus d'EDF d'en prendre acte constituait un trouble manifestement illicite au sens de l’article 873 du Code de procédure civile.

Le Président du Tribunal de commerce de Paris puis la Cour d’appel de Paris, dans deux arrêts du 26 juillet 2020 ont, coup sur coup, fait droit à leurs demandes.

La Cour a d’abord relevé que la clause de force majeure stipulait que « la suspension prend effet dès la survenance de l'événement de force majeure et entraîne de plein droit l'interruption de la cession annuelle d'électricité », que la partie invoquant la force majeure devait « informer l'autre partie (…) par lettre recommandée avec accusé de réception, de l'apparition de cet événement » et que « les obligations des parties sont suspendues pendant la durée de l'événement de force majeure ».

La Cour en conclut que la notification par une partie d’un cas de force majeure avait pour effet automatique de suspendre de plein droit ses obligations, à charge pour l’autre partie de justifier que l’évènement ne constituait « manifestement pas un tel cas, et ce avec l’évidence requise en référé. »

S’agissant ensuite du fait de savoir si l’épidémie de Covid-19 constituait, ou non, un cas de force majeure tel que défini contractuellement, la Cour renverse la charge de la preuve en jugeant que c’était à EDF de justifier que l’évènement invoqué ne constituait manifestement pas un cas de force majeure. La Cour relève que la définition contractuelle était plus large que la définition légale « puisqu'elle fait référence à l'impossibilité d'exécuter dans des conditions économiques raisonnables et en l'espèce, l'événement de force majeure invoqué est l'épidémie de Covid 19 et les mesures sanitaires et légales drastiques qui ont été prises pour la juguler et ont eu une incidence très importante sur la consommation d'électricité et le niveau du prix de celle-ci ».

Elle en conclut que la réalité d’un cas de force majeure au sens du contrat ne peut être écarté de sorte que le refus d’EDF d’interrompre la cession d’électricité est constitutif d’un trouble manifestement illicite. La Cour ordonne en conséquence la suspension de l’exécution des contrats pendant une durée déterminée.

Les arrêts de la Cour d’appel de Paris apparaissent discutables à plusieurs égards

  • Il est d’abord surprenant que le juge des référés se soit déclaré compétent en présence d’une clause nécessitant une interprétation. La jurisprudence est pourtant constante à ce sujet (Civ.1e, 4 juillet 2006, n°05-11591) ;
  • La Cour d’appel a inversé la charge de la preuve de l’existence d’un cas de force majeure en faisant peser cette charge non pas sur la partie qui invoquait la clause mais sur celle qui la contestait, en méconnaissance des dispositions de l’article 1353 alinéa 1 du Code civil selon lesquelles « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver »
  • Il était ici question de libérer les fournisseurs alternatifs de leurs obligations d’approvisionnement et de paiement. Or, la force majeure ne peut en principe libérer le débiteur d’une obligation de somme d’argent (Cass. Com., 16 septembre 2014, n° 13-20306) 
  • Enfin, il est permis de douter que l’exécution des obligations de Total Direct Energie et Gazel Energie Solutions était devenue impossible « dans des conditions économiques raisonnables », la Cour d’appel de Paris se contentant de caractériser « un bouleversement des conditions économiques antérieures qui se traduit par la survenance de pertes significatives nées de l'exécution du contrat».

Publication des conclusions de la Commission européenne sur l’évaluation du règlement d’exemption sur les accords verticaux

Rapport de la Commission européenne du 8 septembre 2020, SWD(2020) 172 final

Le 3 octobre 2018, la Commission Européenne avait lancé un réexamen du règlement d’exemption par catégorie applicable aux accords verticaux (le « règlement d'exemption »), ainsi que des lignes directrices sur les restrictions verticales. Elle cherchait à vérifier leur fonctionnement, en amont de l’expiration du règlement d’exemption actuel (règlement UE n°330/2010) qui interviendra le 31 mai 2022.

La Commission européenne vient juste de publier les conclusions de cette phase de réexamen le 8 septembre 2020. En voici les points-clés.

Elle indique d’abord que l'évaluation a montré que le règlement d'exemption et les lignes directrices sur les restrictions verticales étaient toujours pertinents, car il s'agit d'outils utiles qui facilitent l'autoévaluation, par les acteurs économiques, des accords verticaux qu’ils concluent, ce qui contribue à réduire les coûts de mise en conformité.

La Commission constate toutefois que le règlement d’exemption ainsi que les lignes directrices sont en décalage avec l’environnement actuel des entreprises, et notamment la digitalisation croissante de l’économie (essor des ventes en lignes et émergence de nouveaux acteurs comme les plateformes depuis 2010). Certaines dispositions actuelles sont adaptées uniquement aux schémas traditionnels d'approvisionnement et de distribution.

  • des restrictions concernant le recours à des sites de comparaison de prix ou à des marchés en ligne
  • des clauses de parité des prix de détail
  • des restrictions sur la publicité en ligne.

La Commission conclut qu’il manque à l’heure actuelle des orientations sur la manière d'apprécier ces nouvelles restrictions et qu’il sera nécessaire d’y remédier.

La Commission constate en outre des dysfonctionnements de la règlementation qui ne sont pas nécessairement liés à l’évolution du marché, en raison d’un manque de clarté et d’une trop grande complexité des règles applicables. Cela concerne notamment : 

  • certaines restrictions caractérisées telles que les prix de revente imposés et les clauses de parité,
  • ou certains modèles de distribution, notamment l’agence commerciale et la franchise.

Les entreprises sont donc placées dans une situation d’insécurité juridique, et font face à une augmentation de leurs coûts de mise en conformité à la concurrence. La Commission souligne aussi le risque d'interprétations divergentes des règles applicables aux accords verticaux par les différentes autorités de concurrence et les tribunaux nationaux à travers l’Union, ce qui réduit les avantages apportés par les règles (qui sont censées apporter de la sécurité juridique).

La Commission a donc annoncé qu’elle lancerait une analyse d’impact dans les prochaines semaines afin d'examiner les problèmes recensés au cours de l'évaluation. Une consultation publique sur l’analyse d’impact initiale est prévue pour la fin de cette année, avant la publication du projet du règlement d’exemption révisé, prévue l’année prochaine.

Délais de paiement : le Gouvernement se donne pour objectif de faire diminuer les retards de paiement à 10 jours fin 2021

Rapport annuel de l’Observatoire des délais de paiement pour l’année 2019, 8 octobre 2020

Problème endémique de l'économie française, les retards de paiement atteignent toujours 11 jours en moyenne en 2019 (stables par rapport à 2018), contre 4 jours aux Pays-Bas et 7 jours en Allemagne.

Rappelons que l’article L441-10 du code de commerce fixe les règles générales suivantes (certains secteurs faisant l’objet de régimes particuliers, avec des règles plus ou moins drastiques) :

  • Le délai de paiement maximum est de 30 jours en l’absence d’accord entre les parties
  • Si les parties choisissent un délai plus long, celui-ci ne peut dépasser soixante jours nets à compter de la date d’émission de facture ou 45 jours fin de mois, à condition de l’indiquer clairement dans le contrat et que cela ne constitue pas une discrimination manifeste vis-à-vis du créancier.

Les retards fragilisent la trésorerie des PME, raison pour laquelle le Gouvernement s’est fixé pour objectif de continuer à les faire baisser à 10 jours fin 2021.

Pour diminuer les retards, le Gouvernement a déclaré vouloir miser sur l’incitation et l’éducation des acteurs économiques et sur la facturation électronique qui deviendra obligatoire en 2023 pour les entreprises.

Mais l’administration n’hésite pas également à utiliser l’arsenal répressif mis en place avec l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 : l’article L.441-16 du Code de commerce prévoit depuis lors, en cas de non-respect des délais de paiement, une amende administrative pouvant aller jusqu’à 2 millions d’euros pour une personne morale (seuil fixé par l’ordonnance du 24 avril 2019), et même 4 millions en cas de réitération dans les deux ans de la première décision de sanction devenue définitive.

De fait, la DGCCRF procède à de nombreux contrôles en la matière, notamment auprès des grandes entreprises et n’hésite pas à sanctionner lourdement les entreprises qui ne respectent pas les dispositions applicables, comme l’ont montré les décisions Cora (amende de 2 millions d’euros prononcée le 4 août 2020) et SFR (amende de 3,7 millions d’euros prononcée le 18 novembre 2019).

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